Interview expresse avec Stephan Franck (SILVER)

Quel est ton parcours ?
Je suis tombé amoureux des comics et de l’animation quand j’étais tout petit. Le film Métal Hurlant m’a conforté dans l’idée que les deux allaient de paire. Apres des études aux Gobelins, j’ai démarré une carrière dans l’animation qui m’a amené en Angleterre puis à Los Angeles, où je vis depuis 1995. J’ai eu la chance de travailler sur des films comme Le Géant De Fer, ou Moi Moche Et Méchant, et de collaborer étroitement avec beaucoup de mes idoles comme Glen Keane chez Disney, ou George Lucas chez…George Lucas.
Paradoxalement, c’est aussi aux US que j’ai pu réaliser un film spécial des Schtroumpfs en animation traditionnelle, ou pour la première (et peut être la dernière fois), on présente les Schtroumpfs dans leur version originale, animés en 2D. Le niveau de qualité d’animation du long-métrage rend justice aux dessins de Peyo. Restant par ailleurs en contact avec la France, j’ai co-créé la série Corneille & Bernie avec mon frère, Emmanuel. Actuellement, je démarre un nouveau projet de long-métrage d’animation (mais je ne peux encore rien révéler).
C’est au milieu de toute cette animation que mon désir de faire de la BD s’est réveillé, il y a 3 ans. Et le résultat est SILVER, ma première série de comics ! J’avais quelques inquiétudes à revenir vers la BD, mais heureusement, l’accueil de l’industrie et des lecteurs m’a assez vite mis à l’aise.
Pourquoi avoir choisi de t’établir aux USA ?
Si, en grandissant, j’adorais le cinéma français et la BD franco-belge, je dois avouer que j’ai connecté encore plus fortement avec le comics et le cinéma américain. Mes parents avaient une librairie en banlieue parisienne et je dévorais avidement toutes les traductions Marvel et DC, et même Gold Key, les strips de syndication, etc… qui étaient publiées en France a l’époque par Sagedition, Aredit, LUG.
Plus tard, grâce au génial Métal Hurlant, j’ai découvert des choses plus underground comme Corben. Et donc, comme un petit poisson qui remonte le courant, j’ai voulu remonter à la source.
Comment est né Silver ?
À la base, Silver trouve son inspiration dans le Cinéma De Minuit, qui passait sur FR3 a 22:30 le vendredi soir, quand j’étais gamin. Chaque semaine, ils passaient un film en noir et blanc des années 30, 40 ou 50. Il s’agissait de films de monstres, comme King Kong, de gangsters, avec Humphrey Bogart, de SF, etc.
En bref, du chef-d’œuvre de Fritz Lang à la série B, sans oublier les screwball comedies comme The Thin Man series. Dans ma petite tête, tous ces films se rejoignaient pour former une espèce de meta-univers cohérent du pulp, où tu pouvais te trouver à New York avec des gangsters, et prendre un avion à hélices pour l’Afrique, et découvrir une cité perdue, te perdre dans la lande Anglaise, et être poursuivi dans la brume par des loup-garou ou des vampires. Tout cet univers était en noir et blanc, fait d’ombres et de mystères. Un monde pré-Google Earth, en quelque sorte.
De là, l’idée du noir et blanc ?
Exactement. Cela m’évoque le feeling de la période, d’une manière à la fois vintage et moderne, avec un côté presque pop-art.
Pourquoi avoir choisi le médium Comics ?
Pour deux raisons. 1) Le comics a toujours été l’une de mes passions les plus fortes, notamment les graphic novels du milieu des années 80. Ce médium combine l’immersivité, les possibilités d’introspection, avec la force visuelle du cinéma. À un moment donné, il m’a semblé évident que je devais m’y remettre.
Mais 2), parce que le cinéma en général et l’animation en particulier, sont des formes artistiques ou tout est basé sur la collaboration. Je peux créer mes graphic novels en toute autonomie, à la fois artistique et logistique (j’ai fait le choix de monter Dark Planet, ma propre maison d’édition aux US) Cela apporte un contrepoint dans ma vie artistique et c’est devenu très important pour moi.
De quoi parle Silver ?
Silver se passe dans l’univers original du Dracula de Bram Stoker, 40 ans plus tard, dans le monde pulp des années 30. On suit les aventures de James Finnigan, un gentleman cambrioleur au charme évident, mais à la moralité douteuse. Aidé d’une femme chasseur de vampires, il monte une équipe d’escrocs afin de voler un trésor caché dans un château peuplé de vampires. En somme, une mission suicide.
Évidemment, le plus fun, c’est le « world-building » On prend l’univers tel qu’il est décrit dans le roman original, et on l’étend dans toutes les directions. On retrouve certains personnages originaux ou leurs descendants, et on découvre ce qu’ils sont devenus. On explore aussi le passé, avec une mythologie originale qui remonte jusqu’a l’âge de bronze.
Cela dit, ce que je préfère, c’est le travail sur les personnages, leurs insécurités, leurs faiblesses personnelles et émotionnelles, et leur sens de l’humour qu’ils déploient comme une sorte de bouclier.
Du point de vu thématique, j’aime aussi beaucoup le mash-up entre les vampires et les « conmen« . Ce sont des créatures relativement similaires : ce sont des prédateurs qui restent extérieurs a la société, et qui ne s’engagent pas émotionnellement. D’un coté, les conmen sont figurativement sans âme, tandis que les vampires le sont littéralement. Leur rencontre pose des questions intéressantes sur la signification de « vivre sa vie », par opposition à « ne pas mourir ».
Comptes-tu développer l’univers en animation ?
Il est actuellement question d’une adaptation, mais cela se fera en prise de vue réelle.