- Dix ans après, pourquoi est-ce important de se rappeler cette catastrophe ?
D’abord parce qu’elle a été d’une ampleur phénoménale, jusqu’à en dépasser l’entendement, et ses conséquences ont été désastreuses, aussi bien du point de vue humain que du point de vue environnemental.
Ensuite, parce qu’elle se poursuit encore, cette catastrophe ! L’accident semble “sans fin”, comme le suggère le sous-titre de l’album…
Enfin, je dirais que cette catastrophe est largement due à une certaine bêtise humaine, à l’incompétence de certaines élites supposées et, finalement, à la faillite de tout un système qu’il faudrait certainement repenser. Il faut absolument revoir notre rapport à l’énergie, tirer enfin des leçons de Fukushima et Tchernobyl.
- Pouvez-vous nous résumer votre ouvrage ?
Fukushima – Chronique d’un accident sans fin est le récit des premiers jours de la catastrophe qui a frappé le Japon en mars 2011, une histoire racontée depuis l’intérieur de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, du point de vue des protagonistes eux-mêmes. Autrement dit à travers les yeux des employés de cette structure géante appartenant à la société électrique TEPCO, au premier rang desquels on trouve son directeur, le charismatique Masao Yoshida.
Petit rappel des faits : le 11 mars 2011, précisément à 14h46, un tremblement de terre effroyable survient au large des côtes nippones. Mesuré à 9.1 sur l’échelle de Richter, ce séisme accouche bientôt d’une vague monstrueuse qui vient frapper l’archipel avec une violence inouïe. La catastrophe naturelle devient du coup technologique. Fukushima Daiichi est inondée, bientôt plongée dans le noir faute d’alimentation électrique. Ses réacteurs ne sont plus refroidis, les coeurs menacent très vite d’entrer en fusion, tout risque de sauter. De fait, les fuites et les explosions se multiplient, les radiations sont de plus en plus toxiques...
Notre album raconte donc l’histoire de ce lieu et des gens qui s’y sont sacrifiés, dans une sorte de huis clos anxiogène, sur une durée de cinq jours. Cinq jours durant lesquels à peu près tout se joue, où l’on se démène pour survivre et sauver ce qui peut encore l’être.
- Sur quel matériau vous êtes-vous appuyé pour raconter cet épisode dramatique de manière réaliste ?
Je me suis appuyé sur un certain nombre de sources pour construire mon scénario, mais la principale a bien sûr été le témoignage de Masao Yoshida. Recueilli à l’occasion de plusieurs auditions dans le cadre de commissions d’enquête, il a ensuite été rendu public. À ce témoignage du directeur de la centrale, s’ajoutent pas mal de lectures plus ou moins spécialisées sur la catastrophe elle-même ou plus largement sur le nucléaire. L’aide de Pierre Fetet, spécialiste de Fukushima, auteur de nombreux articles et d’un blog faisant référence sur le sujet, a par ailleurs été extrêmement précieuse. Il m’a suivi pendant toute cette aventure. Et il est donc tout à fait logique que les clés du dossier documentaire (d’une dizaine de pages) fi gurant en fi n d’album lui aient été confiées.
- Pouvez-vous évoquer la personne de Masao Yoshida et son rôle dans votre récit ?
La personnalité de Masao Yoshida est à la fois complexe et fascinante... Il est en effet avant tout un homme de TEPCO, le pur produit de cette société électrique ultrapuissante où il a gravi les échelons petit à petit, jusqu’à devenir un jour le directeur de Fukushima Daiichi. Mais Masao Yoshida, c’est aussi celui qui est capable de prendre toutes ses responsabilités quand l’heure devient grave, s’affranchissant des tutelles, n’hésitant pas à désobéir aux autorités supérieures. Y compris lorsque les ordres émanent des plus hauts dirigeants de TEPCO ou du Premier ministre du Japon, Naoto Kan. Au fi nal, son caractère bien trempé et son esprit d’initiative font évidemment de Masao Yoshida un leader charismatique, particulièrement apprécié des équipes qu’il dirige.