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Interviews des auteurs de La Bombe

L’incroyable histoire vraie de la bombe atomique, dans un roman graphique de 470 pages. Extrêmement documenté mais avant tout un récit passionnant, La Bombe s’impose déjà comme le livre de référence sur l’histoire de la bombe atomique. Découvrez l'interview de ses auteurs.

INTERVIEW DES SCÉNARISTES DIDIER ALCANTE ET L. F. BOLLÉE

Pourquoi avoir voulu s’emparer aujourd’hui du thème de la bombe atomique ?

Didier Alcante : En ce qui me concerne, c’est une très longue histoire puisqu’elle débute en 1978. À l’époque, un jeune japonais débarquait dans ma classe. Il était très fier de son pays et m’en parlait longuement. J’étais  totalement fasciné par ce qu’il me montrait et me racontait à propos de ce pays : les samouraïs, le mont Fuji, les temples shinto etc. Le Japon m’apparaissait alors comme le pays idéal. Trois ans plus tard, j’ai visité Hiroshima. Là-bas, l’ombre d’une victime « fi xée » sur un mur suite à l’explosion m’a profondément marqué. Depuis lors, j’ai accumulé une quantité impressionnante de documentation sur la bombe atomique. Petit à petit, j’ai acquis la conviction qu’il y avait matière à en faire un grand roman graphique, et je me suis fi nalement jeté à l’eau en 2015. Au terme de mon premier voyage japonais, j’avais deux questions : comment a-t-on pu en arriver là, et qui était cette « ombre » ? Notre roman graphique répond à ces deux questions.

Y avait-il dès le départ la volonté de sortir le livre l’année des 75 ans du bombardement ?

L. F. Bollée : Oui, sans aucun doute. D’autant qu’on savait qu’il y aurait les Jeux Olympiques de Tokyo en 2020, que les dates de ceux-ci incluaient les 6 et 9 août, soient les deux « Jours J » de Hiroshima et Nagasaki ! 2020 était donc une date évidente pour raconter cette « saga de la bombe atomique », un des moments forts de l’histoire de l’humanité. Quand Didier m’a présenté ce projet, je n’ai pu dire qu’une chose : c’est évident et imparable ! 

Vous avez effectué un voyage d’étude et de documentation à Hiroshima en 2018 pour ce projet.Qu’en avez-vous retiré ?

Didier Alcante : Tout d’abord, nous avions décidé d’attendre ce voyage avant d’écrire le scénario de toutes les scènes qui se déroulaient à Hiroshima. Nous voulions en effet profi ter de cette visite pour accumuler de la documentation sur place. Le musée mémorial de la paix dispose d’une bibliothèque particulièrement fournie sur le sujet. Par ailleurs, on ressent bien davantage les choses quand on est vraiment sur place. D’autant que nous avons rencontré un guide dont le grand-père est décédé dans le bombardement. Sa mère, qui avait 15 ans à l’époque, a passé toute sa jeunesse à Hiroshima et elle a quitté cette ville la veille du bombardement. Elle a vu et commenté toutes nos planches. Ils nous ont conseillés sur la manière de disposer les tatamis au sol, la façon de manger du riz, les vêtements, les objets de la vie courante, les caractères japonais, etc. Nous leur devons beaucoup.

L. F. Bollée : Oui, ce voyage restera gravé longtemps dans nos mémoires d’auteurs, et ce fut incontestablement une aventure dans l’aventure de La Bombe ! D’une part, parce que Denis, Didier et moi étions pour la première fois réunis, d’autre part parce que nous avons pu assister à la cérémonie de commémoration du 6 août. Ce voyage a permis de nous immerger dans cette ville et son passé. Je pense que nous avons tous l’impression que sans ce voyage, notre livre n’aurait pas été aussi profond et humain. 

En tant qu’occidentaux, a-t-il été délicat de s’emparer d’un thème qui concerne en grande partie le peuple japonais ?

L. F. Bollée : Je pense que oui, dans la mesure où on sait tous que ce pays possède des particularités sociales et culturelles quasiment impénétrables pour un étranger. Mais il ne faut pas s’interdire de mettre en scène des personnages et des nationalités autres que les nôtres. Le rôle d’un écrivain n’est-il pas de raconter et d’avoir son regard sur le monde ? 

Didier Alcante : Et les victimes étaient japonaises, certes, mais à partir du moment où cet événement a contribué à mettre fi n à une guerre mondiale, et a fait plonger l’humanité dans une nouvelle ère, je pense que c’est devenu un thème universel, qui concerne tout le monde.
Du reste, nous avons veillé à éviter tout manichéisme et tout angélisme. Certains personnages japonais incarnent l’impérialisme japonais de l’époque, d’autres le subissent de plein fouet ou sont entraînés malgré eux par le courant de l’Histoire.

Au vu de l’ampleur du travail qu’a nécessité ce récit et en considérant sa grande pagination, on se demande s’il n’aurait pas été plus simple pour vous de réaliser une série. Pourquoi avoir choisi le format roman graphique ?

Didier Alcante : Cela aurait été une option, effectivement, mais je trouve que cela aurait atténué la force de l’histoire. La question ne s’est pas réellement posée en fait. En ce qui me concerne, j’avais adoré Terra Australis, l’album de Laurent-Frédéric sur la colonisation de l’Australie, qui faisait 500 pages. Cet album a servi en quelque sorte de déclic pour moi. Je me suis dit que ce format était ce qu’il fallait à La Bombe.

Qu’est-ce qui vous a poussé à collaborer ?

L. F. Bollée : Didier Alcante est l’instigateur de ce projet et en a été le « capitaine » impeccable depuis le début. Il m’a fait l’insigne honneur de me demander de le rejoindre sur ce projet. Il y a donc aussi, pour La Bombe, l’histoire d’une amitié sincère entre deux auteurs. Didier Alcante : Par ailleurs, je suivais depuis un certain temps le travail de Denis, et j’avais vu sur son site des planches en noir et blanc dans un environnement militaire qui étaient superbes et correspondaient tout à fait à ce que je recherchais pour La Bombe. Je savais qu’il était capable de travailler vite, un atout non négligeable pour un tel projet.

Comment vous répartissiez-vous le travail ?

Didier Alcante : J’ai rédigé le synopsis de base, qui était déjà très détaillé. LFB est arrivé à ce moment-là, il l’a lu et commenté. Nous avons alors divisé le synopsis révisé en une quarantaine de séquences que nous nous sommes réparties entre nous.  

L. F. Bollée : Nous écrivions donc chacun de notre côté mais ne cessions ensuite d’échanger pour parvenir à nous exprimer d’une seule voix.

Didier Alcante : En fonction de nos différents commentaires, on réécrivait. Il est ainsi arrivé qu’il y ait cinq ou six versions d’une même séquence avant qu’on en soit satisfaits. En matière d’écriture, nous sommes assez complémentaires. J’écris les scènes d’action
quand Laurent-Frédéric se penche plutôt sur les scènes calmes ; je suis plus à l’aise dans les discussions scientifiques, tandis qu’il a un côté plus littéraire. Mais à l’arrivée, chaque scène a l’aval de nous deux. 

Quel type de documentation avez-vous employé dans vos recherches ?

L. F. Bollée : Il y a à la base un travail « universitaire » de notre part, une forte exigence de documentation, avec une lecture abondante, souvent en anglais, de livres apportant une lumière la plus large possible sur le sujet. Il y a certaines scènes de dix pages qui ont nécessité plus de trois mois de travail quotidien pour bien confronter toutes les informations et les sources !

Didier Alcante : Notre valeur ajoutée, ça a été d’être exhaustif et de raconter chronologiquement, renforçant ainsi l’aspect « course à la bombe » comme dans la série Manhattan. Nous ne nous contentons pas de suivre le projet, nous montrons ce qui se passait en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Russie, au Japon. Ajoutons qu’un effort tout particulier a été fait pour que chaque uniforme, chaque véhicule, chaque personnage soit bien représenté. Tout ce que vous voyez dans l’album correspond rigoureusement à la réalité, souvent jusqu’au moindre détail ! 

Quelles raisons vous ont amené à faire parler l’uranium à la première personne ?

Didier Alcante : Je voulais éviter le plus possible les récitatifs purement informatifs, et les rendre les plus vivants possible. Pour cela, l’idéal était d’avoir un narrateur, mais aucun de nos personnages ne pouvait remplir cette fonction car aucun d’entre eux ne traversait réellement toutes les scènes. Aucun... sauf l’uranium ! Partant de là, il fallait encore lui défi nir sa voix, son ton. Nous avons décidé de le faire parler comme s’il s’agissait d’une espèce de dieu tout puissant, un peu lugubre, insensible et indifférent au sort des humains.

Comment vous sentez-vous après une telle aventure ?

Didier Alcante : Epuisé, fier, heureux et un peu anxieux. Epuisé car cela a représenté une somme de travail réellement gigantesque, incomparable à tout ce que j’ai fait auparavant. Pour tout vous dire, je crois avoir frôlé le burn-out. Fier et heureux car nous avons mené ce projet à son terme, et en respectant l’échéance terriblement courte
qu’on avait. Ce genre de projets aurait pu se terminer en dispute entre les auteurs et prendre deux ans de retard. Ici on est devenus de vrais amis et on a terminé dans les temps ! Enfin, un peu anxieux comme à chaque fois à l’approche de la sortie d’un album : va-t-il trouver
son public ?

 

INTERVIEW DU DESSINATEUR DENIS RODIER

Comment as-tu rencontré les deux scénaristes ?

Didier et moi avons fait connaissance grâce à un ami commun, Djief Bergeron. Ça faisait un bout de temps que nous discutions d’une possible collaboration et nous échangions fréquemment par courriel. Pour ce qui est de LFB, c’est Didier qui me l’a présenté en tant que
collaborateur d’écriture. Je dois avouer que je ne connaissais pas son travail, mais ses albums Terra Australis et Matsumoto m’ont vraiment impressionné.

Qu’est-ce qui t’a poussé à intégrer le projet ? 

Quand j’ai été convaincu que l’album ne serait pas imprégné de manichéisme et que les faits seraient respectés. Étant un adepte d’Histoire, je croyais au potentiel du format roman graphique pour apporter une nuance à un sujet souvent simplifi é au point
de devenir une simple caricature. Ayant lu et relu le XIII Mystery de Didier qu’il a réalisé avec Boucq,je savais qu’il était la personne idéale pour tenir une intrigue complexe et montée au quart de tour. LFB avait l’expérience du format roman
graphique et je savais qu’ensemble, ils pourraient rendre justice au sujet. 

Tu as fourni un travail colossal. Comment es-tu parvenu à réaliser autant de planches d’une si grande qualité dans un laps de temps finalement assez court en regard de la tâche accomplie ?

Mon travail d’une décennie (ou presque) sur Superman pour DC Comics m’a appris beaucoup sur la discipline et les exigences d’un travail élaboré sur une longue continuité. Avec les années aussi, on apprend à optimiser la narration sans se perdre dans les détails superfl us
et le tape à l’œil. Il faut travailler sur la composition de la planche et des images en allant au cœur de l’action et de l’émotion. C’est un travail de distillation.

Pour m’inspirer, je suis retourné vers les grands classiques du comic strip américain comme Rip Kirby d’Alex Raymond et Terry and the Pirates de Milton Caniff. Ces géants de la BD pouvaient fournir six strips par semaine en plus d’une planche dominicale d’une qualité à couper le souffle et ce, sans relâche pendant la totalité
de leur carrière. 

Quel type de documentation avais-tu à ta disposition pour retranscrire en dessin cette époque et le Japon d’avant la bombe ?

Mes co-auteurs ont fait un travail phénoménal en amont. Sans fournir eux-mêmes beaucoup d’images, leurs recherches détaillées sur certains éléments très précis rendaient facile la recherche de documents visuels. Par exemple, s’il est écrit qu’à une date précise, le président Truman à bord de l’avion présidentiel traverse
l’atlantique, il m’est facile de chercher dans le site web des archives de la bibliothèque Truman et découvrir de multiples photographies de l’intérieur du Sacred Cow (nom donné à l’avion avant qu’il ne soit appelé Air Force One) et de pouvoir déterminer le modèle exact
de l’appareil. 

Pour le Japon il est clair que notre voyage de recherche à Hiroshima avec Seiji, notre guide, a été déterminant. Le temps passé à consulter des ouvrages dans les archives du musée de la paix a été d’un apport considérable, car l’internet, bien que d’un grand secours,
peut rapidement nous mener vers des sites complotistes des plus farfelus où on retrouve des images détournées ou aux références inexactes. 

Comment te sens-tu après une telle aventure ?

J’ai l’impression d’avoir fait un grand saut dans le vide et que, miraculeusement, l’atterrissage s’est fait sans douleur. On peut mettre ça sous l’enseigne de l’expérience du vieux routier, mais dessiner 441 planches sur trois ans avec une date de tombée si précise (et terminer deux semaines à l’avance) est quelque chose qui me surprend moi-même.

 

Découvrez le making-of de La Bombe en cliquant ici.