Interview confinée de Damien Seguin

Pendant le confinement, des auteurs de la maison nous racontent comment ils vivent la situation actuelle.
LE CONFINEMENT VU PAR Damien SEGUIN, marin professionnel
L’autre défi de Damien Seguin
Le 8 novembre, il sera au départ du Vendée Globe, course à la voile en solitaire, sans escale et sans assistance, surnommée l’Everest des mers. L’histoire peu ordinaire de cet homme né sans main gauche qui décida un jour de devenir marin professionnel est racontée par le journaliste Éric Cintas dans Damien Seguin, le défi d’une vie, à paraître en septembre prochain.
Tu vas participer au Vendée Globe dont le départ sera donné le 8 novembre prochain. À quoi ressemble ta préparation malgré le confinement ?
Ma préparation est basée sur le respect des ordres en vigueur à savoir, le confinement. Je reste à la maison. Mon équipe travaille en demi-journée. Un seul dans le hangar et un sur le bateau. En ce qui me concerne, je fais du télétravail. Je m’occupe de la gestion du chantier, du planning et je traite certains dossiers importants du Vendée Globe comme la nutrition ou les formations météo. C’est très utile et très intéressant. Et je continue ma préparation physique avec des séances de sport à la maison, le matin et le soir.
On est un peu confiné quand on navigue en solitaire… Parviens-tu à transposer ton expérience du confinement en mer à la situation actuelle ? Et à l'inverse, utiliser en mer ce que tu auras vécu ces derniers mois ?
Oui et non. Oui car quand on est sur un bateau en transat, on ne peut pas en sortir mais ce n’est pas pareil. Être confiné c’est ne pas pouvoir faire tout ce que tu as envie de faire. C’est le cas en bateau. Quand je suis tout seul en transat, je ne peux pas aller me promener plus loin que l’étrave de mon bateau, je ne peux pas voir des amis, des proches. C’est forcément contraignant. Mais là où ce confinement est différent, c’est que nous sommes en capacité de faire toutes les choses dont nous avons envie mais c’est interdit. C’est ce qui rend les choses plus frustrantes.
Quels conseils pourrais-tu nous donner pour nous aider à supporter le confinement ?
Ce qui peut être angoissant pour certaines personnes dans ce confinement, c’est la longueur. Mais là encore si je fais un parallèle avec le bateau, je dirai que c’est la même situation. Quand on est en transat, on ne sait pas combien de temps cela va durer, combien de temps va durer le Pot au Noir…
Il y a des moments que nous pouvons trouver très longs, des moments où nous n’avons pas le moral. Cette notion de longueur devient alors extrêmement palpable et gênante. Et ce qu’il faut faire, enfin moi c’est ce que je fais quand je suis en solitaire sur le bateau, c’est avancer pas à pas en vivant le moment présent. Par exemple, je dézoome très rarement la cartographie de la course pour voir le parcours en entier. Je fonctionne par tronçons. Mon écran est centré sur 48 ou maximum 72 heures de déplacement du bateau, mais je n’ai jamais mon arrivée.
Je me fixe des objectifs à plus ou moins court terme en fonction de ce que j’ai à faire sur le bateau, de la météo ou encore de mes adversaires. Du coup, ça permet de relativiser le temps et de se concentrer sur des choses qui sont plus concrètes et quotidiennes plutôt que de se projeter sur des évènements dont on ne sait pas combien de temps ils vont durer. Trop d’incertitudes, cela peut être angoissant donc moi, sur le bateau, je fonctionne comme ça. Il faut se fixer des objectifs intermédiaires. L’idée pour le moment n’est pas de penser à ce que je ferai une fois ce confinement terminé mais plutôt se concentrer sur des choses actuelles. Il fait beau en ce moment. Certains profitent de ce temps pour faire des travaux chez eux. C’est super, je trouve. Réparer une chaise branlante depuis trois ans, aménager sa cuisine… Il faut profiter de cette période de confinement pour faire tout ce que nous n’avons pas le temps de faire généralement, se donner des petits objectifs à court terme. Ce sont des choses toutes simples qui permettent de construire un quotidien et ça évite de se projeter dans la longueur de ce confinement.
Tu as créé l'association Des Pieds et des Mains afin de favoriser l'accès aux sports nautiques pour les handicapés. As-tu un message à transmettre à ce sujet ?
Le message est simple. La mer n’appartient à personne. C’est un endroit de loisir formidable et à ce titre il doit être accessible à tout le monde, les hommes, les femmes et les personnes en situation de handicap. Aujourd’hui il y a suffisamment de normes et de règles pour mettre fin à toutes ces choses-là et pouvoir profiter des sports nautiques avec des aménagements plus que nécessaires pour pouvoir faire naviguer des personnes en situation de handicap tout en assurant leur sécurité. Être en fauteuil ou avoir une prothèse est souvent un handicap de terrien. Sur le bateau, le handicap prend une autre dimension. C’est un autre moyen de se mouvoir. C’est un apprentissage qui est différent et qui change complètement le quotidien des gens. La mer, la voile et les sports nautiques sont pour moi des lieux et des activités qui se partagent. Et il n’y a pas de raison que nous n’arrivions pas à la partager.
