Interview de Sui Ishida

Tokyo Ghoul

Dans une interview accordée au magazine Atom, le mangaka Sui Ishida revient sur la grande saga qui a fait son succès, Tokyo Ghoul. Nous vous proposons de découvrir un extrait de cet entretien. 

ATOM : Achever Tokyo Ghoul après 7 ans de travail a été, selon vos propres mots, une “libération”. À présent comment vous sentez-vous ? Ne subissez-vous pas une certaine pression des éditeurs et des lecteurs, qui attendent un autre hit du même calibre ?

SUI ISHIDA : Aujourd’hui, je suis sorti de cet état-là : le sentiment de libération que vous évoquez a été depuis rattrapé par celui de l’ennui ! (rires) Quant à la pression, elle ne vient pas de mon éditeur, de mon entourage ou de mes lecteurs, mais plutôt de moi-même, car j’ai des envies, des objectifs et un niveau que j’aimerais atteindre. (il réfléchit) En fait, je suis très impatient de trouver enfin L’IDÉE qui corresponde à ce que je souhaite faire et dans laquelle je pourrai m’investir à fond. 

A. : Et au moment où vous nous parlez, vous pensez tenir quelque chose ?

S.I. : Je ne me suis pas vraiment arrêté sur un thème précis, disons que j’ai plusieurs idées auxquelles je réfléchis…

A. : Durant les 7 années passées sur Tokyo Ghoul, sur quels points techniques avez-vous le plus progressé ?

S.I. : Je dirai sur ma manière de dessiner les personnages. Au début de la publication du manga, je sentais que j’avais des lacunes dans ce domaine. J’ai donc pris le taureau par les cornes et je me suis inscrit à des cours de dessin dans une école spécialisée. J’y allais quelque chose comme deux fois par mois, et ça m’a beaucoup aidé.

A. : Y a-t-il encore des étapes qui vous posent des difficultés ?

S.I. : La représentation des scènes d’action. Parvenir à coucher sur le papier ce genre de séquences, en collant précisément à l’idée chorégraphique que j’ai en tête, reste encore un processus difficile pour moi. Par exemple, dessiner les kagune demande une attention toute particulière, notamment à cause de la complexité dans leur mise en mouvement. Ce que je recherche avant tout, c’est donner une impression de grand dynamisme à mon dessin.

A. : Il a en tout cas fallu attendre le dernier tome de Tokyo Ghoul: re pour en savoir un peu plus sur vous. En effet, dans la postface que vous avez signée pour cet ultime volume, vous revenez sur plusieurs épisodes de votre vie, notamment de votre jeunesse. Vous avez ainsi beaucoup déménagé quand vous étiez enfant, à tel point qu’il était difficile de vous faire de vrais amis. Est-ce que ce sentiment – celui de ne pouvoir finalement appartenir à aucun groupe fixe – vous a influencé dans l’écriture de Tokyo Ghoul et plus précisément dans la conception du personnage de Kaneki, qui est tiraillé entre deux mondes et peine à trouver sa place ?

S.I. : C’est vrai que j’ai beaucoup déménagé dans ma jeunesse, mais de là à dire que je n’appartenais à aucun groupe et que je n’avais pas d’amis… (rires) Non, tout de même, je n’étais pas si isolé ! En fait, j’avais souvent un rôle intermédiaire : par exemple s’il y avait deux groupes d’élèves à l’école, eh bien j’étais au milieu, sans être membre de l’un ou de l’autre. Dans ce sens, oui, je me retrouve un peu dans la position de Kaneki, et sa construction dramatique doit probablement à mon expérience personnelle de ce constant “entre-deux”.

A. : L’une des thématiques principales de l’univers de Tokyo Ghoul est la famille. Presque tous vos personnages principaux ont ainsi vécu différents traumatismes liés à la perte d’une ou plusieurs personnes de leur famille. C’est d’ailleurs le point commun le plus fort entre les goules et les agents du CCG…

S.I. : La famille est un sujet important dans le manga, c’est vrai, mais ce n’est pas un thème que j’ai délibérément cherché à développer ou à surligner. Vous savez, j’étais très jeune quand j’ai commencé à dessiner Tokyo Ghoul et je n’avais pas d’idée précise sur la thématique principale que je souhaitais aborder à travers mon histoire. C’est au fur et à mesure de la publication et de l’évolution de Kaneki que j’ai commencé à réfléchir aux thèmes que celui-ci pourrait me permettre d’explorer. Et si je devais en choisir un pour définir Tokyo Ghoul, je dirai qu’il s’agit plutôt du “choix”.

A. : Dans la même postface, vous déclarez que vous vous êtes mis au dessin pour imiter votre grande sœur, mais qu’après avoir renversé par accident de l’encre sur un tatami de votre maison, vous avez été tellement traumatisé que vous n’avez plus touché une plume pendant dix ans. Est-ce que, durant cette période où vous n’avez plus dessiné, vous aviez totalement abandonné l’idée de devenir mangaka ?

S.I. : En vérité, l’idée de faire carrière dans le manga n’était pas si implantée que ça. C’était dans l’air, mais sans plus. En tout cas, mes parents ne voulaient pas entendre parler de cette possibilité. Pour eux – comme pour de nombreuses personnes –, il s’agissait d’un métier trop instable. J’ai reçu une éducation chrétienne, et le conservatisme qui va avec a probablement joué dans la vision que mon père et ma mère avaient de cette profession. Ils ne m’ont donc jamais encouragé à suivre cette voie et auraient préféré me voir opter pour une carrière “normale”, un job de bureau en entreprise par exemple.

Vous pouvez retrouver un dossier complet sur Tokyo Ghoul et Tokyo Ghoul : Re ainsi que l’interview intégrale ici.

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