Interview de Sui Ishida pour Choujin X
Sa première série Tokyo Ghoul avait permis à Sui Ishida de s’interroger sur le bien et le mal, en prenant comme point de départ un héros tiraillé entre ses sentiments et ses besoins physiques en tant que goule. Avec Choujin X, manga de super-héros 2.0, il pousse la réflexion plus loin, avec des personnages qui s’interrogent chaque seconde sur la définition du bien, du mal et du profit que leurs pouvoirs peuvent engendrer. Le premier tome de Choujin X vient de paraître et le second paraîtra le 16 novembre.
Découvrez la genèse de Choujin X dans cette interview exclusive de Sui Ishida !
Comment vous est venue l’idée du scénario de Choujin X ?
Pouvez-vous nous en raconter la genèse ?
Pendant que je dessinais Tokyo Ghoul (vers le volume 13 de la première série), j’avais quelques idées pour d’autres séries, et l’idée est née de ce à quoi je pensais à ce moment-là. À l’époque, j’imaginais des combats utilisant des kanjis (caractères japonais) comme pouvoir. Chaque personne a son propre caractère (sa marque) gravé sur le corps sous forme de motif, comme un tatouage. Les personnes douées de pouvoirs ont des caractéristiques et un karma qui correspondent au kanji, et celui-ci peut avoir des effets positifs ou négatifs sur elles.
Je voulais placer l’action dans un monde ouvert et libre, mélangeant influences japonaises et occidentales, à la différence de Tokyo Ghoul, qui se limite à un Tokyo fictif. Cette première idée est ensuite passée par une phase de transition, où j’ai retaillé certaines parties, modifié les contours, le titre… jusqu’à ce qu’elle prenne la forme qu’elle a aujourd’hui.
Comment construisez-vous vos histoires ?
Avez-vous toujours une idée de leur longueur, de leurs rebondissements et de leur fin ?
En ce qui concerne la construction de l’histoire, j’écris de différentes manières selon le moment, donc je ne peux pas donner de réponse exacte. Je n’ai pas de style fixe, car il y a différentes façons de traiter l’histoire, en fonction du développement. Je pars du principe que l’histoire sera à peu près de telle ou telle longueur, mais l’expérience m’a montré qu’il est préférable de penser qu’elle sera deux ou trois fois plus longue que ce à quoi je m’attends.
Je commence par avoir une idée de la scène à laquelle je veux aboutir, puis je mets en page l’histoire. Seulement, si je constate en cours de route qu’elle n’est pas naturelle ou devient dérangeante, je la modifie en conséquence. J’ai de la chance si j’arrive à un résultat plus adapté ou une meilleure idée que ce que j’avais envisagé au départ.
Actuellement, je ne peux pas vous dire si j’ai décidé d’une fin.
Faites-vous beaucoup de recherches documentaires pour Choujin X ?
Pour la modélisation des personnages, les arrière-plans et les objets distinctifs, je m’inspire de tout ce que je consomme naturellement au quotidien : l’art, les comics américains, les jeux vidéo, etc. Comme mon monde est construit à partir d’une combinaison de ces éléments, je n’ai pas eu à collecter des documents de manière intensive. Il m’arrive juste de chercher parfois des références précises, sur un élément du dessin.
Azuma Higashi et Tokio Kurohara sont les meilleurs amis mais ont des personnalités diamétralement opposées. Azuma est un jeune homme populaire, vertueux et fort ; Tokio est réservé, peu sûr de lui et peu intéressé par l’école. De quel personnage vous sentez-vous le plus proche ? Pourquoi pensez-vous que c’est le cas ?
Je me sens à la fois proche et différent des deux personnages. La force d’Azuma englobe également la vulnérabilité, pour laquelle je ressens de l’empathie, et la réserve et la passivité de Tokio le sont tout autant.
Si vous deviez devenir un choujin, quel type de choujin et quelles capacités aimeriez-vous avoir ?
Si je pouvais devenir un choujin de manga capable de dessiner plus rapidement, j’aimerais devenir comme Osamu Tezuka et avoir au moins quatre séries supplémentaires.
Choujin X regorge de scènes d’action dynamiques, mais sa composition et sa structure stimulantes témoignent d’une volonté de dépasser les limites du manga traditionnel. Vous sentez-vous en pleine évolution sur le plan artistique ?
Il m’arrive souvent de réaliser soudainement que je suis devenu capable de faire telle ou telle chose. Je pense que je me suis amélioré proportionnellement aux années vécues et aux œuvres créées.
Soit dit en passant, je suis un artiste manga sans grandes racines manga (même si j’ai aimé lire Maître Yoshihiro Togashi, Maître Kentaro Miura et des mangas shojo), donc je ne connais pas grand-chose au cadre traditionnel du manga. En relisant Tokyo Ghoul au moment où je dessinais Choujin X, je me suis rendu compte par moi-même que mon manga ne respectait en rien la grammaire du manga à l’ancienne.
Je sens que je dois apprendre les bases mais, en même temps, ce désordre est une partie de mon identité, et je l’aime. Je n’ai donc aucune ambition de dépasser les limites du manga, je me contente de m’exprimer du mieux que je peux. Mais je suis heureux que ce que je fais naturellement puisse apparaître comme un défi.
Il existe aujourd’hui beaucoup de fictions autour du thème du « super-héros » mais vous revisitez le sujet à votre manière dans Choujin X. D’après vous, quelle est la particularité de votre œuvre ?
Que souhaitez-vous mettre en avant dans Choujin X ?
Peut-être parce que j’essaie de faire quelque chose de réaliste (sans être trop sérieux). Plutôt que de partir sur le schéma simpliste « j’ai un pouvoir, je vais l’utiliser pour le bien ou le mal », je tente d’écrire en profondeur sur les raisons pour lesquelles mes personnages utilisent leurs capacités et pourquoi ils se battent. C’est sans doute ça qui donne sa spécificité au titre.
C’est pourquoi il m’est parfois difficile de pousser à agir un personnage comme Tokio… J’attache de l’importance au fait que les personnages soient humains, et pas simplement des pions dans l’histoire.
Après avoir passé sept ans sur Tokyo Ghoul et Tokyo Ghoul : Re, vous avez créé Choujin X. Y a-t-il une différence entre ce projet et vos travaux précédents (environnement de production, outils, calendrier, équipe...) ?
Tokyo Ghoul était une série en prépublication hebdomadaire, et il me fallait finaliser dix-huit planches dans un court laps de temps. Il y avait donc à tout moment environ cinq ou six assistants qui pouvaient dessiner des arrière-plans et travailler sur les détails. Après la fin de la sérialisation, j’ai travaillé seul pendant deux ans à la production d’un jeu, en dessinant des images, en construisant tout le scénario et en écrivant les paroles des chansons. J’ai trouvé que le fait de pouvoir travailler sur divers sujets, sans deadline à courte échéance, me convenait mieux, vu que j’étais un paresseux qui se lassait très vite.
Ainsi, la première étape pour obtenir ma liberté était d’éliminer les délais. Avec le support Web, je peux créer à un rythme libre, contrairement aux séries hebdomadaires qui paraissent dans les magazines. Ensuite, j’ai arrêté d’engager des assistants. Je devais vérifier les dessins, donner des instructions et calculer leurs salaires… Toutes ces tâches visant à maintenir mon environnement de travail impactait trop ma vie (bien sûr, lorsque j’étais sur Tokyo Ghoul, ils m’ont aidé à produire de superbes planches et je leur en suis très reconnaissant. J’aimerais toujours qu’ils m’aident). J’ai décidé de supprimer toutes ces heures et de pouvoir tout produire par moi-même.
Sur Choujin X, c’est moi qui dessine chaque plan, sauf indication contraire. Quant aux outils, j’ai utilisé Celsys/Comic Studio pour Tokyo Ghoul. L’outil qui lui succède, Clip Studio, est apparu pendant la série, mais je n’ai pas eu le temps de faire la transition et j’ai continué à utiliser l’ancien outil jusqu’à la fin de la série. Après la fin de la sérialisation, j’avais du temps, alors j’ai migré vers Clip Studio (j’ai tellement aimé sa multifonctionnalité que j’ai commencé à l’utiliser non seulement pour le manga mais aussi pour des illustrations couleur).
Il y a trois domaines principaux qui sont difficiles dans le manga : personnages, décors et figurants. J’ai toujours dessiné les personnages moi-même et ça ne changera pas. Pour les arrière-plans, je tente de booster l’efficacité en incorporant un environnement 3D, tout en travaillant les traits pour améliorer la qualité. En ce qui concerne les personnages en arrière-plan, je n’ai pas encore trouvé de moyen absolu pour augmenter l’efficacité. J’ai essayé un logiciel de génération de particules comme Houdini, mais cela ne semble pas bien fonctionner. J’ai bien l’intention de trouver une solution à l’avenir.
Pouvez-vous partager avec nous quelques secrets de production de Choujin X ?
Une histoire secrète reste secrète.