Interview de Timothé Le Boucher
Après le remarqué Ces jours qui disparaissent, Timothé Le Boucher revient avec un ouvrage témoignant une nouvelle fois de sa science narrative exemplaire. S’inscrivant dans une veine plus réaliste, Le Patient est un thriller psychologique prenant et surprenant, laissant entrevoir quelques-uns des thèmes de prédilection de l’auteur : le rapport à l’autre, la notion du temps qui passe, de l’identité et de la mémoire.
Comment avez-vous vécu le succès de votre précédent album ?
C’était fou, je ne m’y attendais vraiment pas… Et je dois avouer que le succès de Ces jours qui disparaissent me met un peu la pression ! Je n’ai pas envie de décevoir mes lecteurs et je me suis donc donné au maximum pour mon prochain album.
Que raconte-t-il ?
Le Patient raconte l’histoire de Pierre Grimaud, un jeune homme de 21 ans qui se réveille après 6 ans de coma à l’hôpital. À son réveil, il apprend que toute sa famille a été massacrée par sa sœur. Il n’a plus rien dans la vie et doit réapprendre à vivre, se reconstruire, et il va être aidé en cela par une psychologue. Entre eux va naître une relation… disons, ambiguë.
Comment est née l’histoire du Patient ? Quel a été le point de départ ?
J’avais envie de parler de la relation entre un jeune homme et une femme plus âgée. Mon idée de départ était l’histoire d’une femme, une intellectuelle, professeure d’université, qui rencontre un jeune homme, aux alentours de 19 ans, en vacances. Et ils ont une relation amoureuse. À la rentrée, le jeune se retrouve dans sa classe. Mais il ne lui parle plus du tout, fait comme s’il ne la connaissait pas, ce qui la trouble d’autant plus… J’avais donc cette histoire qui trottait dans ma tête, mais je n’arrivais pas à lui trouver un intérêt précis. Et puis un jour, je me suis baladé dans un hôpital, c’était un dimanche, les longs couloirs étaient déserts, ça créait une atmosphère assez terrifi ante. J’ai imaginé de longs travellings en plan-séquence à la manière de Stanley Kubrick dans Shining ou Gus Van Sant dans Elephant… C’est comme ça que j’ai décidé de transposer mon histoire dans le milieu hospitalier. J’ai ensuite eu l’idée de ce personnage qui se réveille après 6 ans de coma suite à un drame, et c’est en mélangeant ces trois points de départ qu’est née l’histoire du Patient.
Pourquoi avoir choisi d’ancrer ce nouveau récit dans le réel ?
Je suis très attentif au pitch de départ. Celui de Ces jours qui disparaissent était fantastique parce que c’était la solution qui me permettait le mieux d’exprimer tous les sujets que je voulais traiter : cette dualité qu’on a à l’intérieur de nous, ce temps qui s’accélère dans la vie d’un personnage, qui nous met face à nos obligations et au pragmatisme de la vie sociale... En réalité, je n’avais pas vraiment réalisé l’aspect fantastique de l’histoire. Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’un scénario permet de raconter et de faire passer comme message. Pour Le Patient, la dimension fantastique n’était tout simplement pas nécessaire. En revanche, on peut y trouver des parallèles dans le rapport à la psychologie qui était déjà très présente dans Ces jours qui disparaissent, ou sur le lien avec la famille, sur cette idée du temps qui nous échappe. Ce sont plus des liens thématiques qu’un strict rapport fantastique/réaliste.
Avez-vous tenté d’explorer de nouvelles voies graphiques ?
C’est vraiment dans la continuité de Ces jours qui disparaissent. Simplement, j’ai essayé d’améliorer tous les points qui avaient pu être soulevés en termes de dessin. C’est comme pour l’écriture, j’essaie de toujours progresser. Après, il est vrai que cette BD se passe dans les années 1990, donc il y avait tout un travail à effectuer sur les vêtements, et même les couleurs de l’hôpital qui sont très particulières. Par exemple, la chambre de Pierre est un peu rose mélangée de vert, ce sont des teintes qu’on ne retrouve pas dans les couleurs contemporaines. Mais dans le même temps, j’ai essayé de faire en sorte que cela ne se ressente pas directement. Lorsqu’on lit, on peut ne pas se douter que l’histoire se passe dans ces années-là, sauf si l’on repère certains détails. C’est un travail de motifs qui est répété tout au long de l’album.
Il y a également certains moments où l’on revient dans les souvenirs de Pierre, que j’ai essayé de traiter de manière plus organique afin de trancher avec le réalisme un peu froid du présent.
Quels sont les thèmes que vous avez choisi d’explorer et s’inscrivent-ils dans la continuité de votre précédent ouvrage ?
Il y en a plusieurs qui s’imbriquent. Quand j’écris une histoire, c’est comme si je réalisais un tissage de toutes les thématiques qui m’intéressent. Parmi celles du Patient, on retrouve évidemment l’aspect psychologique d’un personnage qui a subi des traumatismes et qui essaie de se reconstruire, le fait que le temps ait passé et qu’il se retrouve sans rien. Il y a également, comme je l’évoquais plus haut, cette relation ambiguë avec sa psychologue qui, tel Pygmalion, le forge intellectuellement, lui apprend des choses, et produit chez lui une sorte de fascination. Mais dans le même temps, il devient suffi samment intelligent pour pouvoir lui répondre et une joute verbale s’instaure entre les deux. On peut aussi retrouver des thématiques sur la reproduction sociale, des questionnements sur le milieu hospitalier… et forcément, plein d’autres choses que je ne peux pas aborder ici sous peine de trop dévoiler le scénario.