Interview de Yuna Hirasawa | Devenir enfin moi-même
En 2024, Yuna Hirasawa, l'autrice de Terrarium (4 tomes, série terminée), revient au catalogue Glénat Manga avec Devenir enfin moi-même, un one-shot autobiographique, et une toute nouvelle série fantasy : Luca, vétérinaire draconique !
L'INTERVIEW DE YUNA HIRASAWA
> Votre manga, Devenir enfin moi-même, a été publié au Japon en 2016. Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
Yuna Hirasawa : Je ressens à la fois de la joie et de la gêne à l’idée qu’un travail aussi ancien soit remis au goût du jour. Pour être plus clair, c’est un peu comme si on ressortait un blog que j’aurais écrit il y a longtemps (rires).
Mon expérience en dessin était plus limitée et l’histoire était plutôt courte, mais il s’agissait de ma première publication sérialisée (en rythme hebdomadaire !). Je ne savais pas comment demander l’aide d’assistants donc j’ai dû tout dessiner par moi-même avec un planning extrêmement serré. J’ai réussi parce que je venais juste d’avoir 30 ans à l’époque, mais aujourd’hui j’en serais physiquement incapable !
>> Dans cette autobiographie, vous vous livrez sur vos sentiments, vos peurs, vos appréhensions. Quel était pour vous l’objectif de ce manga ? Est-ce que sa publication peut apparaitre comme la dernière étape de votre transition, celle de l’affirmation ?
YH : Non, cela n’a rien à voir avec les démarches d’identité de genre. Évidemment, j’ai pu me confronter plus profondément à moi-même en dessinant ce manga, mais ce n’était pas spécialement mon intention.
De nombreuses personnes de mon entourage avaient consigné par écrit leur expérience après leur chirurgie de réassignation sexuelle, donc j’ai voulu créer ce manga pour mémoire. Si vous voulez savoir pourquoi j’ai raconté cette histoire sous la forme d’un manga c’est parce qu’à l’époque j’avais pour objectif de devenir mangaka, donc j’avais décidé d’écrire sur tous les sujets possibles pour soumettre mes productions à des prix. Lorsque j’ai montré la trentaine de pages que j’avais réalisées sur mon passage à l’hôpital au responsable éditorial, il m’a demandé si je pouvais l’étoffer sous forme de série. À cette époque, j’étais prête à accepter tout ce qu’on me proposait donc je n’ai pas trop réfléchi, et j’ai aussitôt accepté la proposition.
Comme je sortais de l’opération, mes souvenirs étaient encore clairs (c’était à l’époque où je ne pouvais pas m’asseoir sur une chaise sans un coussin en forme de donut à cause de la douleur, coussin que je prenais avec moi pour les réunions chez Kodansha). J’ai donc immédiatement commencé à retranscrire les détails de mon séjour à l’hôpital, et j’ai continué à renseigner chaque visite de contrôle ainsi que les démarches administratives en temps réel. Entre temps, j’ai remporté un prix au Chiba Tetsuya Award, et bien que j’ignore à quel moment précis le responsable éditorial de l’époque a soumis mon projet Devenir enfin moi-même au rédacteur en chef du magazine, la sérialisation a commencé à peu près au même moment.
>>> La transition de genre est un sujet dont on parle de plus en plus à l’international, est-ce que les consciences se sont éveillées au Japon ? Et comment est perçue la communauté LGBTQIA+ ?
YH : Concernant la prise de conscience au Japon… si je compare avec l’Europe et les Etats-Unis, elle n’est malheureusement pas suffisante. Dans la question, vous utilisez le terme LGBTQIA+, mais de nombreux médias japonais utilisent le terme LGBT ou parfois LGBTQ. Pour savoir à quel stade en est le Japon, il suffit peut-être de compter le nombre de caractères (rires).
Bien sûr, si l’on compare à une dizaine d’années auparavant, de plus en plus de personnes font leur coming-out et de plus en plus d’entreprises expriment leur soutien. Donc même dans un Japon conservateur, les choses évoluent petit à petit. Cependant, il y a un aspect à la fois positif et négatif du peuple japonais : peu de personnes haïssent au point d’agresser ou de tuer les minorités sexuelles (je ne sais jamais quel mot utiliser, donc permettez-moi de nous identifier ainsi pour le moment), mais en contrepartie, peu de personnes sont disposées à travailler de façon pro-active pour leur protection. J’ai l’impression que la majorité des gens sont prêts à m’accepter de façon individuelle, mais quand il s’agit de prendre une décision pour un poste important au sein de la société (par exemple, un RH qui devrait embaucher une personne dont l’identité de genre diffère entre son genre physique et juridique), il y aurait un blocage car personne n’accepterait de prendre cette responsabilité.
YH : En outre, les Japonais ont l'habitude de se baigner nus avec d’autres personnes dans les bains publics ou les sources thermales. C’est devenu un très gros problème lorsque les tribunaux ont invalidé les lois qui exigent la perte de la fonction reproductive pour lancer une procédure de changement de sexe. L’opinion publique s’est déchirée sur le sujet des bains publics à propos des personnes s’affirmant transgenres, en imaginant que des personnes avec des sexes masculins pourraient entrer dans des bains pour femmes. Je pense que ce sujet a eu tendance à renforcer les critiques à l’égard des personnes transgenres ces dernières années.
Cependant, si l’on lit attentivement la décision, il est évident que la question des bains publics n’est pas vraiment un sujet d’actualité car la Cour n’a pris aucune décision concernant "l’exigence d’apparence" (avoir une apparence correspondant aux organes génitaux du sexe à changer). Néanmoins, c’est un débat public qui restera assurément à mener à l’avenir.
>>>> Depuis votre interview à Japan Expo en 2022, vos lecteurs français ont pu poser un visage sur l’autrice de Terrarium. Depuis, quelle relation entretenez-vous avec votre public français, étant donné que vous êtes sur les réseaux sociaux ?
YH : Je leur réponds de la même façon qu’à mes lecteurs japonais, sauf que l’on communique dans une autre langue. Je les remercie pour leurs avis, je réponds à leurs commentaires et je mets des « j’aime » lorsqu’ils me mentionnent. Néanmoins, j’ai l’impression que les Français expriment beaucoup leur opinion et font de leur mieux pour s’approprier les thèmes et les questionnements que je pose dans mon travail. Cela me fait vraiment plaisir !
Depuis mon interview à Japan Expo dont Caroline Segarra était l’animatrice, il m’arrive de regarder ses Lives ou d’interagir dans la section « commentaires » du Glénat Manga Live. Les intervenants prennent toujours le temps de me saluer chaleureusement via le moniteur et j’en suis toujours ravie, mais je pense qu’ils ont un programme strict à respecter dans le cadre de l’émission donc je veux qu’ils sachent que s’ils sont trop occupés, ils peuvent aussi m’ignorer. Ce n’est absolument pas un problème !
>>>>> Vous vous exprimez parfois en français sur les réseaux sociaux. Prenez-vous des cours de français ? Si oui, depuis quand vous est venu cet intérêt ? Quelles sont les choses les plus difficiles dans l’apprentissage ? La prononciation ?
YH : Je ne comprenais pas du tout le français alors je passais par un logiciel de traduction pour remercier mes interlocuteurs et leur répondre en ligne. Néanmoins, je me sentais un peu mal de dépendre de ces outils informatiques, donc j’ai commencé à apprendre le français afin de pouvoir être capable de répondre par moi-même. Mais il se trouve qu’en plus d’être mauvaise en langues, le français est extrêmement difficile en termes d’orthographe, de règles, de prononciation… donc j’ai vraiment des difficultés à l’apprendre. Surtout la prononciation ! Quand on est autodidacte, même si l’on s’entraine, on ne sait jamais vraiment si c’est correct. Si vous voulez savoir comment je m’en sors, vous pouvez demander aux membres de l’équipe Glénat qui sont venus me rencontrer au Japon (rires).
Merci encore à Yuna Hirasawa d'avoir répondu à toutes nos questions !
Retrouvez Devenir enfin moi-même le 17 avril prochain en librairie !
DEVENIR ENFIN MOI-MÊME
Yuna Hirasawa s’est rendue en Thaïlande pour subir une chirurgie de réassignation sexuelle. Cependant, ce processus s’est révélé bien plus éprouvant qu’elle ne l’avait imaginé…
Être réellement la personne que l'on sait être... Cet essai autobiographique retrace le parcours de l’autrice transgenre pour, enfin, être en adéquation avec elle-même. Entre son accueil à l’hôpital par les médecins, ses douleurs et les mauvaises surprises, elle raconte son expérience personnelle dans les moindres détails.
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