Zanzim parle d'Hubert et de Peau d'Homme

interview de Zanzim

LA RENCONTRE

La première fois que j’ai rencontré Hubert, dans une soirée costumée, pendant nos études aux beaux-arts d’Angers, il était déguisé en nuage : une énorme boule de coton trônait au-dessus de sa tête et des flocons de neiges en tombaient. J’ai tout de suite saisi l’excentricité d’un personnage haut en couleurs qui ne portait pourtant que du noir.
C’est Yoann qui a ensuite permis de nous rencontrer à nouveau après nos études.
Notre première collaboration et première bande dessinée fut Les Yeux verts (éditions Carabas). Un cocktail détonant entre mon style d’illustration très naïf et l’univers gothique et onirique d’Hubert. Je me souviens que je ne dessinais pas très bien et que Hubert me portait à bout de bras pour m’aider à esquisser un personnage en ¾ dos... C’était son premier scénario.

Par la suite, nous avons mis en place une méthode de travail infaillible. D’abord, Hubert, me racontait son histoire... Une heure et demie et trois carafes de café plus tard, je lui faisais part de mes interrogations, qu’il écoutait pour les éclipser en quelques minutes. J’essayais de lui faire enlever le plus de dialogues possible, car il était très bavard. J’édulcorais en dessin les scènes que je trouvais trop « trash », et accentuais celles qui me semblaient trop fades. Il imaginait les histoires, je les dessinais, il redécouvrait son histoire avec mes dessins et se disait « agréablement trahi ». Il les colorisait, et je redécouvrais mon dessin à nouveau, avec ses couleurs splendides.

Le « ping-pong BD » était né !

LA GENÈSE

Avec Hubert, nous nous sommes apprivoisés au fur et à mesure de nos collaborations en bande dessinée. Complicité, partage et amitié se sont imposés au fil du temps.

J’avais dit à Hubert « Le jour où tu décideras d’écrire une histoire autobiographique en bande dessinée, je veux que tu me choisisses comme dessinateur » (ultime privilège parmi tous ses collaborateurs). Je souhaitais dessiner une histoire intime  qui  parlerait  de  lui,  de  son adolescence compliquée, de sa période gothique et de son homosexualité.
Bref, j’imaginais quelque chose de plus frontal, une histoire contemporaine où il ne se cacherait pas derrière des costumes d’époque et d’énormes cathédrales.

En 2013, à l’époque des manifestations contre le mariage gay, Hubert m’appelle et me dit : « Tu voulais faire une bd qui parle de moi ? Eh bien je suis prêt ! Je vais écrire un brûlot ! Cela va s’appeler : "Débaptisez-moi !" » Un peu soufflé au téléphone, je découvre un Hubert colérique, apeuré et combatif ! Il m’a fallu quelques temps pour me rendre compte de la hauteur de sa peur et de sa colère. Mais en voyant les manifestants à Paris, j’ai eu l’impression d’être dans le film L’Invasion des Profanateurs (1979), où les possédés montrent du doigt les « pas comme eux » ... J’ai alors voulu relever le défi ! Hubert m’envoie ce qu’il a fait mais, pour le coup, je trouve son brûlot un peu trash et un peu trop éloigné de son univers habituel, et qu’un peu plus de fun et de poésie ne seraient pas en trop.

Quelques mois plus tard, il revient vers moi et m’annonce qu’il a tout changé et me pitch l’histoire de Peau d’Homme.
C’est le coup de cœur ! Je sais qu’on tient un truc ! L’idée d’un « conte moderne » très léger, qui traite de manière subtile la question du genre et de la sexualité, me va à ravir.

LES RECHERCHES ET LE CHOIX DU STYLE

Sur ce projet, je ne suis pas du tout intervenu dans le scénario, tout était parfait !

Mes recherches se sont orientées principalement sur les personnages et notamment sur Bianca qui devait se métamorphoser en Lorenzo. Il fallait, pour ces deux et mêmes personnages, qu’ils soient proches physiquement mais pas reconnaissables, seule la couleur des yeux devait rester la même. Je souhaitais que le style de dessin soit simple et moderne et que la lecture soit la plus limpide possible. Je voulais que les couleurs soient dans l’air du temps, mais pas trop criardes. Hubert m’a fait totalement confiance sur ce domaine qui lui était pourtant réservé.
Concernant les décors je me suis plongé dans l’univers des représentations du Cinquecento, âge d’or de la haute Renaissance en Italie. Hubert m’a fourni une imposante iconographie comprenant des costumes, des tableaux de maîtres, des photographies de l’Italie, des caricatures médiévales, des intérieurs, des jardins, des représentations (faussées) de la perspective, ainsi que tout un dossier de représentation de jeunes éphèbes (« C’est de la doc pour Lorenzo », disait-il !)
Tout y était !

Comme à chacune de mes bandes dessinées, je m’immerge au maximum dans toute cette documentation pour ensuite ne garder que l’essentiel. Pour les décors, je me suis inspiré des tableaux de Giorgio De Chirico en essayant de garder de la simplicité dans les perspectives. L’utilisation des perspectives axonométriques s’est imposée car elle permettait un sens de narration intéressant (de gauche à droite et de haut en bas). J’ai hérité du savoir-faire en ce domaine de Joost Swarte ou de Pierre Clément (cf. publicité pour Reynolds). L’ensemble devait être aérien et léger, d’où l’absence de bordure de case. La mise en couleurs des traits du décor permettait de placer celui-ci en arrière-plan et de mettre en avant les personnages. En général, mon style de dessin est empreint de l’école de la ligne claire, mais une ligne claire décomplexée, avec « une fausse naïveté très savante » dixit Hubert.

LE PROPOS

Pendant que je dessinais cet album, j’ai pris un réel plaisir à passer du personnage féminin au personnage masculin et vice versa.
À la fin je ne savais plus très bien avec qui j’étais, le corps n’importait plus. Seuls l’âme et l’amour avaient vaincu ! Le « brûlot » initial s’était transformé en un livre éminemment positif et humain. Tout cela en traitant de sujets comme la religion, le sexe et la morale avec légèreté et humour.

HOMMAGE

Merci Hubert pour toutes ces histoires que nous avons faites ensemble, et nos moments d’amitié et de complicité partagés.
Pour l’heure, tu me laisses avec notre dernier enfant, Peau d’Homme, que je devrai élever seul.
Tu es parti au firmament de ton talent comme une star du rock, tu vas me manquer ma grande gigue.

Je te souhaite une belle Vie Posthume...
 

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Peau d'Homme
9782344010648
Collection : 
03.06.2020