Quel effet cela vous fait de retrouver le Bouncer ?
François Boucq : En fait, je ne l'ai jamais vraiment perdu. Un personnage, on l'a toujours avec soi. Il m'arrive par exemple de redessiner les personnages de La Femme du magicien, une série que j'ai faite il y a quand même presque 30 ans ! En outre, le Bouncer est un personnage extrêmement intéressant, psychologiquement, mais aussi physiquement à dessiner. Pour moi, c'est un héros parfait. Même s'il lui manque un bras... Bouncer incarne tout ce qui fait l'essence du western.
Qu'est-ce qui vous lie à ce genre si particulier ?
François Boucq : Ce que je trouve intéressant dans le western, c'est qu'il pose un cadre qu'on n'a pas besoin de définir. Le western, c'est l'homme dans ce qu'il a de plus pur. L'homme face à la nature, face aux animaux, face à tout ce qu'il peut lui-même déployer en bon comme en mauvais. Dans le western, on sait que la cruauté la plus excessive comme les actes les plus héroïques peuvent apparaitre. On n'a pas besoin d'expliquer « pourquoi ». Tout cela est par essence présent. Ainsi, on peut aller directement dans le coeur du récit.
La force de Bouncer, ce sont ces personnages, ces physiques à la fois très particuliers et très charismatiques. De bons personnages, est-ce le secret d'une bonne histoire ?
François Boucq : Jean Gabin disait : « le cinéma, c'est avant tout une bonne histoire, une bonne histoire, et une bonne histoire ». Eh bien la bande dessinée, c'est un peu pareil. On a besoin d'envisager les thèmes les plus vastes possibles pour toucher le lecteur dans ce qu'il a d'essentiel. Et, encore une fois, le western est idéal pour ça en ce qu'il pose les personnages au coeur même de la vie sous tous ses aspects. Le lecteur, quand il accède à mon monde, est exactement comme un héros de western. Il va rencontrer des personnages qui vont l'instruire sur la vie, il y aura des bons, des mauvais, et le lecteur va être obligé de se positionner par rapport à ça. La bonne histoire selon moi, c'est celle qui va stimuler la morale du lecteur, autrement dit sa capacité à distinguer le bien du mal. Et pour incarner ça, on a besoin d'archétypes, de personnages puissants. Pour ressentir d'autant plus fort l'esprit de révolte et d'injustice du héros, les méchants doivent être vraiment cruels ; les victimes vraiment vulnérables. Tout cela se combine de façon à ce que le lecteur voit naître en lui la nécessité du bien.
Chez vous, le paysage est aussi un « personnage » à part entière ?
François Boucq : Quand on fait de la bande dessinée, on trace des formes sur une page. Des formes qui ont toutes une signification pour le lecteur. Le paysage n'est pas ici qu'un simple décor : c'est un personnage, une forme qu'on manipule. Quand je choisis un paysage, je le fais à la fois pour son évocation exotique, mais aussi pour son apport dramatique à l'histoire. C'est un ensemble de formes qui englobent mes héros : elles peuvent entrer en résonnance avec eux ou, au contraire, les confronter. L'avantage, c'est qu'on a une profusion avec l'Ouest américain : des paysages inouïs dans lesquels la minéralité, la végétation ou les animaux sont des éléments qui peuvent intervenir comme formes déterminantes. On touche ici à l'aspect essentiel de la bande dessinée : la composition des images. C'est ce qui crée la narration. La façon dont une case est composée est dépendante de la précédente, déterminera la suivante. Et ainsi de suite. C'est l'équivalent de la syntaxe en grammaire : on combine des formes entre elles pour raconter des phrases visuelles.
Pourquoi avoir décidé de publier deux albums de façon rapprochée et non une histoire complète ?
François Boucq : Parce que l'histoire en elle-même représentait environ 160 pages. Ça faisait énormément pour un album. Pour ne pas faire trop dépenser le lecteur d'un seul coup et pour qu'il n'ait pas à attendre trop longtemps non plus, j'ai préféré publier le récit sur deux volumes de façon rapprochée. D'une certaine manière, on retrouve l'esprit des séries TV actuelles, où l'on est tout le temps en train d'attendre l'épisode suivant. Sauf qu'en bande dessinée, l'épisode suivant arrive généralement un an après... Dans le cas présent, j'étais tellement pris dans l'histoire que je n'avais ni envie ni besoin de faire de pause. La bande dessinée demande un trait de caractère un peu particulier : il faut tenir, sans arrêt. Tenir le récit, rester concentré pendant toute sa réalisation. Quand je suis dans une histoire, je n'ai pas le temps de me dire que je vais me reposer. C'est comme si je cavalais au rythme de mes personnages.