Marc, on te connaît davantage pour tes BD humoristiques et satiriques. Comment situerais-tu cette série par rapport au reste de ton oeuvre ?
Marc : D’un côté, ça n’a absolument rien à voir avec ce que j’ai pu faire par le passé, même en jeunesse, mais de l’autre, je pense qu’on retrouve quand même une forme d’humour qui m’est chère. J’aime alléger la tension de l’histoire par des traits d’humour, c’est le dénominateur commun de toutes mes bandes dessinées. Il y a aussi l’envie de parler de thèmes importants de façon détournée. Mais clairement, c’est un nouveau chemin que je débute. J’ai toujours voulu raconter des histoires dans des univers imaginaires. C’est chose faite et ce n’est, je l’espère, que le début !
C’est vrai qu’on retrouve ta patte dans la rythmique et le soin apporté aux dialogues. Comment les travailles-tu ?
Marc : J’ai beaucoup de mal à lire des BD dont les dialogues ne sonnent pas naturel. L’ironie, c’est qu’au début de ce projet, j’écrivais des dialogues un peu mous, au langage parfois trop soutenu, ce que je pensais être une espèce de règle immuable dans la BD. Puis Cy est arrivée comme une tornade en me disant : « Mais pourquoi tu les fais parler comme ça alors que tes personnages sonnent juste, d’habitude ?! ». Excellente question, Cy, je te remercie de me l’avoir posée. J’ai donc essayé de revenir à mes instincts et de faire parler les personnages à ma façon, avec un rythme naturel et des punchlines.
Comment définirais-tu le genre d’Ana & l’Entremonde ? C’est de l’aventure, une quête initiatique ?... Une BD pro-platistes ?
Marc : Qu’est-ce qu’une aventure sans quête initiatique ? C’est un peu tout ça à la fois. C’est l’histoire de personnages propulsés dans un univers incroyable. C’est une histoire de déracinement, un questionnement sur la façon dont on se construit loin des siens, sur comment on arrive à se créer sa propre famille. C’est aussi une ode au dépassement de soi et à l’entraide, car l’un ne va pas sans l’autre. Quant à cette idée de terre plate, c’est surtout une formidable excuse pour rebattre totalement les cartes de notre monde. C’est un prétexte fantaisiste qui sert ici à raconter des histoires universelles.
Vous êtes tous deux des auteurs engagés. Comment cette dimension militante transparaît dans cette nouvelle série, qui plus est à destination d’un jeune public ? Cet « Entremonde » est-il finalement si différent du nôtre ?
Cy. : Le militantisme au sein d’une oeuvre peut transparaître de plusieurs façons : en fer de lance ou en toile de fond. C’est cette dernière que nous avons choisie. Certains questionnements « terriens » n’ont aucun sens dans l’Entremonde. Des choses qui régissent littéralement notre Société, comme le genre, par exemple, ne sont même pas un sujet. Mais attention, ce monde est loin d’être idyllique, il a aussi ses problèmes qui nous permettent de poser et de traiter des questions d’actualité tels que « l’autre », l’immigration, la représentation…
Marc : Cela parle aussi de liberté. Sommes-nous condamnés, peu importe la civilisation, à renoncer à notre liberté pour servir les ambitions et l’appétit de chefs parfois autoproclamés, mégalomanes et égocentriques ? Ana passe d’une vie d’orpheline dépendante des quelques pièces d’un employeur d’enfants à un monde régi par un système mafieux corrompu et liberticide. Sa rencontre avec Sam va lui montrer qu’on peut refuser de suivre les règles injustes et s’affirmer en tant qu’individu libre.
Un homme-loup, un personnage sans corps, des lampes humaines, un cacatoès chef de gang… Comment avez-vous construit l’univers graphique de l’Entremonde ? Quelles autres surprises nous attendent pour la suite ?
Cy. : Les inventions graphiques sont un mélange de nos deux inspirations. Dès le début, Marc avait en tête Melvin, Sasha et Barbe-Taupe, j’ai juste dealé ses idées avec mes envies pour leur donner vie. Par exemple, Barbe-Taupe était un perroquet à l’origine, mais la crête du cacatoès rend le personnage mille fois plus expressif. La garde lumineuse vient de mon envie de faire l’Antre de la Main, un lieu complètement dans les ténèbres, et de ma passion pour les clairs-obscurs. Pour la suite, on vous réserve un bestiaire tout aussi salé.
Marc : J’ai très vite eu envie de jouer sur les codes des histoires de pirates traditionnelles. Il y a tellement de choses possibles et imaginables dans un monde aussi vaste… C’est presque frustrant d’être limité par le nombre de pages tant on aimerait en montrer toujours plus. Mais bon, c’est la faute de Cy (ne lui répétez pas, svp).
Il y a déjà une sacrée galerie de personnages dans ce tome 1, vous en avez un préféré ? Et pourquoi est-ce Melvin ?
Cy. : Ha ha, Melvin est vraiment un cool personnage (Robin, notre éditeur et personne en charge de cette interview, lui nourrit une passion déraisonnée), mais pour ma part, le plus fun à dessiner, c’est Barbe-Taupe : le personnage est too much, et je peux vraiment m’amuser avec ses expressions faciales. Pour le reste, trop dur de choisir un personnage en particulier, ils ont tous leur forces et faiblesses, et surtout une évolution à venir !
Marc : Difficile de choisir tant je les aime tous d’un amour foufou. Ils ont chacun une personnalité et un rôle qui leur sont propres. J’ai une relation presque paternelle avec Ana (ce qui ferait de moi un père horrible vu les aventures atroces qu’on lui fait vivre), Melvin a un côté ronchon et comique (un peu comme Cy) que j’adore. Sasha est à la fois spirituel et mystérieux, Sam a un caractère bien trempé et on sent qu’elle a un sacré vécu, Colomb est absurde et ridicule, etc. Bref, je les aime TOUS !