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Interview de Cy - Radium Girls

À l'occasion de la sortie de Radium Girls, roman graphique dans lequel Cy raconte le terrible destin des "Radium Girls", ces jeunes femmes injustement sacrifiées sur l'autel du progrès technique, Cy revient sur la genèse du projet et la création de Radium Girls, dans cette interview :

Te souviens-tu de la première fois que tu as entendu “Radium Girls” ?

Hum… je pense que je ne l’ai pas entendu, mais je l’ai lu. J’ai vu passer un article très succinct sur les Radium Girls sur mon accueil Facebook ou Twitter. Il devait y avoir 20 lignes seulement. Je me suis fait attraper parce qu’au départ, je croyais que c’était un groupe de musique ! (Rires.) Ce n’était pas vraiment ça. Quand je m’en suis rendu compte, que j’ai compris l’histoire derrière, j’ai creusé.

 

Et qu’est-ce qui a fait que, justement, tu as accroché au point d’en développer une histoire ?

C’est fou ce qui est arrivé à ces femmes. Ça a impacté les lois aux États-Unis et on n’en a jamais entendu parler. Cette histoire est dense et rocambolesque ! Et puis, il y a le militantisme : encore des femmes, qui ont encore disparu de l’histoire alors qu’elles ont fait bouger ses lignes.

 

Y as-tu trouvé un écho personnel ?

Personnel ? Non, je ne pense pas. Enfin… (Hésitations) Ça fait partie de cet ensemble brumeux qu’est le patriarcat et dans lequel on baigne tous. Mais à part ça, je ne peux pas dire que je me sois reconnue dans l’histoire de Grace, une des héroïnes. Parce que ce qu’elle a vécu… C’est un chemin différent du mien dans un tout autre temps. Mais mon côté militant, qui souhaite rétablir les injustices, a été touché oui.


Justement, concernant cet aspect militant, est-ce que tu t’es posé la question de ta légitimité pour raconter cette histoire ?

Je me sentais légitime de travailler l’histoire puisque les oppressions qu’elles ont vécues, j’en vis encore maintenant. Je me suis dit : pourquoi je n’en parlerais pas moi aussi ? Ces femmes, dans ces années-là, ont vécu une oppression qui, en changeant de forme, peut aussi opprimer les femmes de nos jours. Je ne me suis pas sentie illégitime.

 

Comment fais-tu pour arriver à t’investir dans des sujets qui sont aussi lointains ?

On parle des années 20 et je ne suis pas historienne. Je ne suis pas non plus docteure en médecine, ce qui n’aide pas à comprendre les radiations. Mais il n’y a pas forcément besoin d’un doctorat quand on veut parler d’un groupe d’amis à qui le pire est arrivé. Si j’avais fait une BD de vulgarisation médicale sur le radium, ça aurait été un peu plus compliqué, je n’aurais pas pu la
faire seule.

 

Comment procèdes-tu vis-à-vis de l’époque en question, comment gères-tu ta documentation ?

Bonne question… Ça remonte à deux ans quand même ! (Rires). Je pense que j’ai géré la documentation en fonction de ce que je voulais dire. Au début, j’avais une trame centrale, puis j’ai rajouté des informations sur la manière dont les femmes étaient habillées, sur le contexte géopolitique, sur l’entre-deux-guerres, sur la prohibition. C’est une époque très dense. Je me suis notamment beaucoup intéressée à la prohibition parce que je me suis rendu compte que c’était une époque que je connaissais mal. J’avais juste de vieilles bribes d’école. Ensuite, j’ai géré l’histoire à travers des questions comme : ce que je dis est-il anachronique ? Ces femmes avaient-elles l’électricité ? À quoi ressemblait une poignée de porte dans les années 20 ? Ces problèmes venaient à moi avec l’avancée de l’histoire. Je suis devenue incollable sur les postes de radio par exemple ! S’il reste des anachronismes – il y en a toujours – il ne doit pas y en avoir tant que ça.

 

Comment fais-tu pour ne pas te faire écraser par ton sujet, le radium et les maladies liées au radium?

C’est vrai que c’est très dense, on observe l’injustice, la machinerie de la société de l’époque. On peut vite se retrouver enlisé dedans, d’autant plus que le procès des Radium Girls a connu beaucoup de rebondissements. C’est par leur amitié que j’ai réussi à rendre l’histoire plus simple à appréhender. Je les ai observées à travers le prisme de mes amitiés, et selon la manière dont on gère un groupe de filles, enfin…(rires) comment on se gère !

 

Est-ce que tu penses que ton album est ancré dans l’actualité ?

Oui ! Il est très actuel. Parce qu’on met en lumière des femmes dans l’histoire et que cet élan-là est caractéristique de ces dernières années. Je pense notamment aux Culottées de Pénélope Bagieu, qui a été une des instigatrices de ce mouvement et qui a connu un écho important. Je trouve cet élan-là très moderne. Il y a un bouillonnement, les luttes féministes mettent toujours en place de grandes manifestations : c’est parce qu’il y a encore beaucoup de choses à changer. Mon travail fait écho à ce bouillonnement, de même que la lutte des femmes des années passées fait écho aux luttes des femmes d’aujourd’hui.

 

Dans ton travail, quel moment préfères-tu ?  Le moment de la recherche, du foisonnement, du scénario, du dessin, de l’aboutissement ?

Le découpage. Ce moment a été très libérateur. Il y avait plusieurs scénarios possibles, ils coexistaient comme en ping-pong. Mais moi je voyais des images ! Et j’étais bridé parce que je devais faire le scénario. Je me demandais alors : « ça va vraiment faire une pleine page ? », ou des questions de ce genre. Quand le scénario a été validé, j’ai fait mon découpage en cases : je l’ai fini en une journée ! Toutes les 120 pages ! Ça a été tellement fluide. Puis il y a aussi le moment des premières planches, j’ai fait de grosses illustrations avec cinq épaisseurs de crayon, très chargées… chargées en émotions en fait. Les dernières sentent plutôt la sueur et la fatigue (rires) ! Mais on les aime quand même !

 

Qu’est-ce que tu gardes comme souvenir de cet album ?

Une vraie fierté d’avoir réussi à sortir une BD, au crayon de couleur, sur un sujet qui me tient à cœur. J’espère qu’elle fera écho chez les autres à son tour !

D’où est venu ce choix de couleurs très restreint ?

J’ai utilisé un camaïeu de couleurs que j’aime beaucoup : le violet et le vert radium vont super bien ensemble ! J’ai peur aussi des fautes de goûts, et plus on utilise de couleurs, plus c’est facile d’en faire. C’est pour ça que je bosse toujours avec des camaïeux assez restreints, et que je les pousse le plus loin possible. En fin de compte, je n’ai pris que 8 crayons de couleurs différents pour toute la BD. En fonction de la sous-teinte que tu mets en-dessous, ça te donne une ambiance différente. Le bleu, par exemple, irradie, et le même violet ne ressort pas de la même façon.  Il y a une scène que j’aime bien, c’est quand elles vont à la plage : on passe de couleurs très chargées, lorsqu’elles sont au cinéma, au blanc de la plage. Le vert devient alors très important quand elles se battent dans l’eau. C’est une scène capitale, on comprend qu’elles sont liées ; mais comme dans toute amitié, elles ne sont pas d’accord sur tout.

 

Fais-tu des carnets préparatoires pour tes albums ?
Quasiment tous, oui. J’entremêle parfois mes recherches avec mes dessins. Et il y a plein d’informations que je n’ai pas réutilisées ensuite, parce que ça ne servait pas forcément la narration, mais qui étaient quand même importantes. Plus loin dans le carnet, j’essaie de rassembler qui était avec qui, qui est la sœur de qui, quelle est la timeline entre leur maladie et le contexte géopolitique. Quinta à la base était blonde, j’ai changé ça par la suite. Tout est sale mais ça m’est égal parce que le but c’est de se faire la main. Pour le découpage, j’ai juste fait des petits bonshommes, d’une traite, comme je le disais.

 

Tu l’as retouché beaucoup après ?

Pas tellement. J’avais surtout peur des talking heads, c’est-à-dire des cases avec juste un personnage qu’on voit parler. J’en fais beaucoup, mais finalement, je pense que ça ne gêne pas du tout.

Sur quoi tu travailles en ce moment ?

Entre deux boulots de clients, je fais des recherches sur une autre potentielle BD.

 

Tu as trouvé quelque chose d’aussi fort que Radium Girls ?

Oh oui…

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