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Le grand retour en BD du canard le plus riche du monde ! - Interview des auteurs de Picsou et les Bit-coincoins

Reprise fidèle de la série culte par deux auteurs explosifs !

Ce premier album redonne vie à l’univers de Disney dans sa loufoquerie et son suspense habituels. Mais si le canard aussi célèbre pour ses montagnes de pièces d’or que pour sa radinerie est resté le même, le monde a changé : c’est tout le sel de cette histoire trépidante, qui voit s’affronter les générations sur fond de choc technologique et de réseaux sociaux. L’ironie politique de Jul et la virtuosité du trait de Keramidas font de ce livre un événement pour toutes les générations de lecteurs de Picsou.

JUL 

Scénariste

De la banlieue parisienne aux campagnes chinoises, Jul a eu un parcours hors du commun. Sinologue puis dessinateur de presse incontournable, son travail en bande dessinée enchaîne les best-sellers, depuis Il faut tuer José Bové en 2005 en passant par Le Guide du Moutard. Avec dix tomes, 180 épisodes de dessin animé sur Arte et un long-métrage au cinéma, Silex and the city s’est installée comme une série culte. Avec le philosophe Charles Pépin, il invente La Planète des sages et 50 Nuances de Grecs. Depuis dix ans, il est le scénariste officiel de la série Lucky Luke avec cinq albums qui font date, dont La Terre promise (2016), Un cow-boy à Paris (2018) ou Un cow-boy dans le coton (2020). Après avoir abordé la gastronomie et l’Histoire avec Aïtor “Sauce Gribiche” Alfonso (La faim de l’Histoire, 2023), il réalise un album de Spirou avec Libon et une version illustrée de La Belle et la Bête. Réside à Paris.

CONFRONTER PICSOU AUX BOULEVERSEMENTS DU MONDE ?

Quel drame plus tragique pour un Picsou que d’être détrôné de son titre de “ canard le plus riche du monde ” ? L’argent, le flouze, la maille, les pépettes, la thune, la caillasse… c’est le thème omniprésent autour duquel s’est bâtie la série Picsou, et en redonnant vie à ce personnage qui dormait au fond de son coffre depuis trop longtemps, c’est immédiatement à ce fondamental que j’ai eu envie de m’attaquer.

Mais aujourd’hui, l’argent a profondément changé… Les anciennes représentations, qu’elles soient mythologiques comme le roi Crésus, classiques comme l’Harpagon de Molière, ou marxistes comme les capitalistes de caricature avec haut-de-forme et cigare, n’ont plus cours. Je me suis alors posé la question suivante : c’est quoi les super-méga-giga riches d’aujourd’hui ? Évidemment pas des Picsou qui nagent dans leurs pièces d’or, mais au contraire des fortunes dématérialisées, invisibles, omnipotentes, qui aspirent chaque gramme de vie sur Terre pour gonfler encore plus… Des gens transhumains, bizarres, inquiétants, sans limites, des méchants absolus parfaits pour les bandes dessinées. Et naturellement m’est venue l’idée des “ bit-coincoins ” à partir de laquelle a démarré cette histoire.

 

UNE LOVE STORY AU PAYS DES CANARDS

Aussi romantique que Donald et Daisy : le couple Jul / Keramidas !

Le duo formé avec Nicolas Keramidas est ma meilleure surprise professionnelle depuis longtemps. Pour un scénariste qui est aussi dessinateur, je sais comme il est difficile de trouver un équilibre harmonieux avec un artiste qui a son univers hyper cohérent et une façon de travailler différents des miens… Eh bien, Keramidas m’a offert avec cette collaboration un cadeau fantastique, une fluidité dans les échanges, une impressionnante maîtrise graphique et un respect fraternel de nos rôles respectifs. En nous surprenant et en nous amusant l’un l’autre, j’espère que nous aurons réussi à transmettre cette légèreté facétieuse aux lecteurs et lectrices !

Audace chez Disney 

Pour cet album, j’ai adoré retrouver Glénat, éditeur chez qui j’avais déjà travaillé autour de mes premiers albums, mais aussi découvrir le monde de Disney, avec les possibilités infinies et les contraintes qu’il offre aux auteurs !

D’autant que je venais d’un monde de liberté totale, plein de transgression et d’insolence, d’une bande dessinée adulte et politique où j’étais le seul à fixer les règles… Et paradoxalement, j’ai trouvé chez Disney une ouverture bien plus grande que celle à laquelle je m’attendais. Alors, bien sûr, j’étais entraîné avec ma reprise depuis douze ans de Lucky Luke. Mais finalement, une fois intégré “ l’esprit Disney ” avec ses codes, j’ai été magnifiquement surpris par leur curiosité, leur ouverture d’esprit à une approche nouvelle, à des pirouettes et à des gags à double tranchant, qui permettent à des enfants et à leurs parents, avec des “ doubles degrés ” de lecture, de jubiler en lisant ces nouvelles aventures de Picsou.

C’est là, je pense, l’élément le plus nouveau de ce retour : une dimension supplémentaire apportée à des aventures trépidantes, avec une galerie de personnages parfaitement huilée, mais qui soudain évolue dans un monde qui fait davantage écho au réel.

DU NEUF SORTI DE L’ŒUF

Le réel s'invite à Donaldville

C’est l’une des grandes différences avec le Picsou de jadis : tous les codes habituels de la série sont là, on ne veut pas du tout dynamiter l’héritage fabuleux de Disney, mais simplement le connecter avec le monde d’aujourd’hui. En soi, Picsou est moderne parce qu’il met en scène des passions éternelles, à commencer par la cupidité et l’avarice, mais aussi les relations familiales, l’ambition, les luttes de pouvoir… Mais pour que tout le monde s’en aperçoive, j’ai eu envie de montrer que lorsque ces personnages se confrontent aux changements de notre Société, qu’ils soient technologiques, culturels ou économiques, ils sont comme nous pris de doutes, d’enthousiasme, ils ne réagissent pas de manière prévisible et mécanique, mais au contraire partagent nos montagnes russes émotionnelles. J’ai l’impression que c’était la meilleure façon de vous étonner, et de redonner vie et énergie à cet univers. Vous ne trouvez pas que c’est encore plus drôle comme ça ?

Langue de canard : la nouvelle recette !

Là où en tant que scénariste j’ai le plus mis ma patte (je devrais dire ma “palme”, peut-être ?), c’est sans doute ce qui caractérise tous mes autres albums : le goût pour les jeux avec le langage. L’invention du “ bit-coincoin ” est évidente, mais aussi des astuces avec des formules toutes faites que je subvertis, l’espièglerie autour des noms propres, des quiproquos de vocabulaire… Je crois que c’est assez nouveau dans la série, comme si une petite souris “ Goscinny ” s’était glissée dans l’univers Canard.

 

NICOLAS KERAMIDAS

Dessinateur

Nicolas Keramidas est né à Paris en 1972. Après un Bac A3 de dessin à Grenoble, il retourne à Paris pour deux ans d’études aux Gobelins (section animation). En 1993, il est embauché au sein de Walt Disney Studios à Montreuil. Parallèlement, il effectue divers travaux publicitaires pour la ville de Grenoble. Début 2000, il présente chez Soleil un projet mettant en scène les aventures d’une petite fille, Luuna, durant l’ère préhistorique. Mais à l’issue d’une rencontre avec Didier Crisse, Luuna devient une jeune Amérindienne et la première série de Nicolas chez Soleil, qui compte neuf tomes. Il signe ensuite pour le même éditeur Tykko des Sables avec Arleston. Il réalise aussi un épisode de la série Donjon écrite par Joann Sfar et Lewis Trondheim. En 2012, il lance en compagnie de Tebo la trilogie Alice au pays des singes chez Glénat. En 2016 et 2018, il dessine les scénarios de Lewis Trondheim sur Mickey’s Craziest Adventures (2016) et Donald’s Happiest Adventures (2018). En 2021, il sort son premier livre en tant qu’auteur complet, À cœur ouvert, aux éditions Dupuis. L’année suivante, il s’attaque au personnage de Superino chez Dupuis. En 2023, il publie Chasseur d’invader chez Casterman, une chasse au trésor où se mêlent voyages, street art et pop culture ! Réside à Grenoble.

APRÈS AVOIR CROQUÉ MICKEY EN 2016 PUIS DONALD EN 2018, C’EST AU TOUR DE PICSOU. EN QUOI CE PERSONNAGE QU’ON DÉCRIT COMME RADIN, MESQUIN ET CUPIDE EST-IL ATTACHANT ET AMUSANT À DESSINER ?

J’ai longtemps cru qu’il y avait d’un côté le duo Mickey / Donald puis les autres personnages. Je n’avais pas inclus Picsou comme faisant partie du trio de tête. Mais un jour, l’évidence m’est apparue : alors que j’étais en dédicace pour Mickey ou Donald, je me suis rendu compte qu’une personne sur cinq me demandait Picsou. J’ai alors compris le rapport qu’entretenaient les gens avec ce personnage. Si on compare Mickey avec Picsou, beaucoup préfèrent le caractère plus trempé de ce dernier. C’est la même chose entre Donald et Picsou. Picsou est encore plus cupide et plus colérique, mais il a aussi ses bons côtés notamment envers sa famille. Je pense que tout cela le rend attachant.

DANS CET ALBUM, ON A LE PLAISIR DE RETROUVER UNE TRÈS BELLE GALERIE DE PERSONNAGES DISNEY AVEC GÉO TROUVETOU, LES NEVEUX RIRI, FIFI ET LOULOU, LES FRÈRES RAPETOU… COMMENT AVEZ-VOUS ALLIÉ “CHARTE DISNEY” ET CRÉATION PERSONNELLE ?

Ce doit être des réminiscences de mes dix années à travailler sur les longs-métrages de Walt Disney, où l’on apprend à construire des personnages. On apprend surtout à les dessiner en 3D car pour que l’on sente qu’un personnage est vivant, il doit être pensé, dans l’animation, en trois dimensions et non comme un dessin à plat sur une feuille. Concernant les influences, lorsque j’ai un nouveau personnage connu à dessiner, je vais voir mes dessinateurs Disney favoris tels que Giorgio Cavazzano ou encore Corrado Mastantuono et je m’imprègne. J’observe comment ils ont “digéré” tel ou tel personnage et je me lance directement sur la planche afin de croquer tout cela à ma manière.

LES DÉCORS SONT RICHES ET LES DÉTAILS SOIGNÉS. COMBIEN DE TEMPS DE TRAVAIL A NÉCESSITÉ LA CRÉATION DE L’ALBUM ?

Une fois que Jul m’envoie son scénario, il me faut une journée pour faire un crayonné assez poussé, puis une à deux journées pour l’encrage (suivant la complexité de la planche). Ensuite, j’ai besoin d’une journée sur la couleur, que j’ai eu la joie de pouvoir réaliser sur cet album ! Je précise que le dessin crayonné et l’encrage sont réalisés en traditionnel et que la mise en couleur se fait sur ordinateur. Durant toutes ces étapes, il faut rajouter les corrections de Disney, bien sûr, mais aussi de Jul. Il s’agit de corrections plus ou moins grandes, plus ou moins compliquées. Bien souvent, peu importe l’étape (crayonné, encrage, couleur), je réalise cela sur ordinateur directement : c’est très confortable pour les retouches.

COMMENT S’EST PASSÉE VOTRE COLLABORATION AVEC JUL ?

Si je devais résumer notre collaboration en un mot, ce serait un chiffre et ce serait 132. Derrière ce chiffre énigmatique, il y a 132 coups de téléphone. En effet, à chaque étape, de chaque planche, j’ai eu le droit à un coup de fil de Jul environ cinq minutes après l’envoi de mon mail. Ce coup de fil commençait toujours ainsi : “ Bien reçu ta planche. Alors déjà, MERCI, c’est super, MAIS… ” Et ensuite, rien de bien grave, souvent du détail voire du micro-détail, mais je trouve ça super d’avoir un scénariste aussi impliqué, donc je reçois ce coup de fil avec plaisir. C’est l’incarnation même de la collaboration.

DANS L’ENSEMBLE, COMMENT VOUS ÊTES-VOUS APPROPRIÉ L’UNIVERS DISNEY ?

J’ai travaillé pendant dix années au studio Walt Disney Feature Animation France à Montreuil avec comme voisins Pierre Alary, Juanjo Guarnido ou encore Virginie Augustin. J’ai adoré travailler sur les personnages mythiques de Disney tels que Tarzan, le Bossu de Notre-Dame ou Hercule ; j’avais d’ailleurs eu la chance de dessiner Mickey à l’époque. Mais un film d’animation, c’est presque cinq cents personnes. On nous apprend à être de très bons exécutants et de très bons techniciens, mais le travail devient assez frustrant. C’est pourquoi je me suis lancé dans la BD. Cette fois, contrairement à l’animation, il y a zéro frustration car je suis enfin en équipe réduite sur notre projet. C’est comme si la boucle était bouclée : je reviens chez Disney mais cette fois-ci à la création.

 

QUELLE EST LA PRINCIPALE DIFFICULTÉ QUE VOUS AVEZ RENCONTRÉE SUR CET ALBUM ?

Il n’y a pas vraiment eu de difficulté majeure car c’est un chemin que je prends à chaque fois avec plaisir, et j’espère l’emprunter encore et encore. Peut-être que j’ai eu un peu d’appréhension avant de travailler avec Jul… je m’explique. Je dis Jul car il s’agit de lui, mais ça aurait pu être n’importe qui dès le moment où l’on se lance dans une nouvelle collaboration avec quelqu’un qu’on connaît très peu et qu’on va apprendre à connaître au fur et à mesure de la réalisation de l’album.

SUR QUELLE SCÈNE VOUS ÊTES-VOUS LE PLUS AMUSÉ ?

Sans doute sur le repaire du méchant, sur l’environnement aussi bien extérieur qu’intérieur. Il y a eu quelques personnages à créer autour, comme la grenouille journaliste et le majordome de Carsten, et bien évidemment Carsten lui-même ! C’est toujours un sacré challenge de créer des personnages qui doivent cohabiter de manière naturelle avec des légendes telles que Picsou, Donald ou les Rapetou. Il ne faut pas que le lecteur se dise que les deux ensemble ne fonctionnent pas.

QUEL AUTRE PERSONNAGE DISNEY PRENDRIEZ-VOUS PLAISIR À CROQUER ET POURQUOI ?

Il y a certes Mickey, Donald et Picsou mais j’ai déjà eu la chance de revisiter d’autres personnages tels que Géo Trouvetou, les Rapetou, Riri, Fifi, Loulou, Daisy, Dingo, Minnie etc… Un Fantomiald pourrait être drôle à réaliser, mais pour être honnête, je serais heureux de croquer tous les personnages. Car ce qui est génial avec ces personnages iconiques, c’est que lorsque l’on s’empare d’eux, nous n’avons aucun récit à fabriquer. Tout le monde les connaît par cœur, tout le monde connaît leurs histoires. Comme disait mon collègue Lewis Trondheim, “ c’est un peu comme si Disney nous prêtait ses jouets, tu as le droit de jouer avec comme tu veux mais il ne faut surtout pas les casser ”. J’espère qu’on en prend suffisamment soin.