Interview de Didier Tarquin

C'est sans doute l'événement BD de ce début d'année : le lancement de la nouvelle série de Didier Tarquin en tant qu'auteur complet. À cette occasion, le dessinateur de Lanfeust nous en dit un peu plus sur son expédition dans les contrées mystérieuses et fascinantes de la science-fiction. Rencontre avec un geek revendiqué qui nous trappelle que la BD est avant tout une affaire de plaisir.
Comment est née cette histoire ?
Au départ, lorsque j'ai décidé de franchir le pas en tant qu'auteur complet, j'avais deux histoires en tête. La première, c'était de l'heroic fantasy pure et dure à la Donjons & Dragons, mais très orientée humour. La deuxième était un space opera. J'ai fait le tour de quelques éditeurs et je les au laissés décider : l'histoire qu'ils choisiront sera celle en laquelle ils croient le plus et qu'ils auront le plus envie de défendre. En gros, ils avaient le choix : fantasy ou SF. Et ils ont tous choisi la SF. Glénat a voulu UCC Dolores, et ça m'allait parfaitement.
Il y avait aussi la possibilité d'explorer de nouvelles choses en termes de dessin ?
Oui, bien sûr. Quand je me suis lancé, je suis parti dans l'idée d'un western intergalactique. Et quand on parle de western en bande dessinée, il y a une oeuvre qui vient immédiatement à l'esprit. Une et une seule : Blueberry. Avec, évidemment, la patte de Giraud. J'avais envie de retrouver ça, de faire quelque chose de très classique - de "néo-classique", disons. Une BD moulée à la louche et au pinceau, c'était comme un besoin de revenir aux fondamentaux quelque part. Donc j'ai beaucoup observé Giraud, mais aussi Boucq, Lauffray...j'ai vraiment étudié leurs styles. J'adore me balader dans les pages des autres et faire l'éponge, jusqu'à ce que ça ressorte dans mes doigts, à la sauce Tarquin. En fait, et je m'en suis rendu compte avec UCC Dolores, je fonctionne vraiment comme le geek que j'étais à 15 ans !
Comment te positionnes-tu par rapport à la notion de genre ?
J'adore tout ce qui est BD ou film de genre. Mais pour autant, il n'y a aucune raison de s'en tenir à un seul genre en particulier, tout se marie très bien. J'envisage les choses un peu comme dans Toy Story. Qu'est-ce que fait Andy, le garçon à qui appartiennent Woody et Buzz l'éclair, lorsqu'il est seul dans sa chambre ? Il prend ses personnages, qui viennent tous d'univers différents, qui ne sont même pas rangés dans le même rayon au magasin de jouets, et il en fait un film. Son film. Et ça fonctionne parce que c'est cohérent dans sa tête. Eh bien moi, c'est pareil. Quand j'écris, que je dessine, je suis en train de jouer. C'est ça mon moteur. Il n'empêche que, lorsque je suis sur la page, il y a une vraie réflexion technique, sur la mise en scène, le graphisme, etc. Mais tout cela est au service du jeu. Pour UCC Dolores, j'avais envie d'un vaisseau avec une tête de mort, d'une nana qui sort d'un couvent, d'un tueur de robots... Et on peut y retrouver tout un tas de références qui me constituent que j'ai parfois mis bien malgré moi. Tout cela, c'est mon ADN en quelque sorte.
L'album est beaucoup construit autour des personnages. Pourquoi ?
C'est un moyen de créer de l'empathie, du moins je l'espère. C'est comme quand on voyage dans un pays étranger, on regarde les choses avec nos yeux de touristes. Il y a des choses qu'on comprend, des choses qu'on ne comprend pas et des choses qu'on comprend de travers. La vision d'un ailleurs, c'est la somme de tout ça. C'est pour cette raison que j'ai mis dans mon dessin, par endroits, des choses que je ne peux pas expliquer. Mais elles sont là. Il faut que le lecteur plonge dans cet univers et qu'il soit comme un touriste, qu'il se mette à se poser des questions... Sauf que je n'ai parfois aucune réponse à lui apporter ! C'est à lui de faire fonctionner son imaginaire, de s'approprier le voyage. C'est ce qui compte plus que tout, cette notion de voyage. C'est pour cette raison que la série porte le nom du vaisseau. UCC Dolores : c'est l'invitation au voyage et à l'aventure.
Quelles sont les thématiques que tu as voulu aborder à travers ce divertissement ?
Ah ça y est, c'est le moment d'être sérieux (rires). En tant qu'artiste, en tant qu'être humain, on a tous des sujets de prédilection, des choses qui nous touchent plus que d'autres. Moi, ce qui me fascine, c'est la part de l'inné et de l'acquis chez les gens. La question de la transmission, au fond.
Dans UCC Dolores, j'avais envie de confronter deux personnages : d'un côté, il y a Mony, qui sort de son couvent, qui n'a pas assez "vécu" pour pouvoir survivre, c'est une oie blanche qui débarque dans un monde régi par la loi du plus fort ; de l'autre, il y a Kash qui a trop vécu pour pouvoir continuer à vivre, on sent qu'il est blessé, qu'il attend la mort. Et c'est leur rencontre qui va créer quelque chose. Parce qu'on fait parfois pour les autres ce qu'on ne ferait pas forcément pour soi-même.
On retrouve aussi, dans ce désir de raconter la construction d'un personnage, une structure proche du conte...
En effet, il y a d'ailleurs une allusion directe aux contes pour enfants. Lorsque Mony sort du couvent, elle porte une espèce de cape avec une capuche, et quand elle arrive dans les bas-fonds c'est un loup qui l'interpelle. Cette jeune fille fraîchement sortie du couvent qui s'aventure dans les bas-fons, ce n'est ni plus ni moins que le petit chaperon rouge qui rencontre le loup en allant chez mère-grand. Ça, je l'ai fait de manière consciente. J'avais envie de taper dans l'inconscient collectif, sur des choses qui sont en nous. L'histoire de Mony est comme un conte, c'est un voyage initiatique, dans lequel je joue avec des stéréotypes.
Le mot de la fin ?
Je crois que je n'ai jamais autant appris que sur cet album. Mais il a d'abord fallu désapprendre, casser tous les systèmes sur lesquels je me reposais. Il ne s'agissait pas de refaire la même chose que Lanfeust - et dieu sait si Lanfeust fait aussi partie de moi. Surtout qu'au départ, je ne me sentais pas forcément légitime comme raconteur d'histoires. Il a donc fallu passer par un long processus de remise en question. Et j'ai fini par me rendre compte que la seule chose qui comptait, c'était de prendre du plaisir. A partir de là, la machine s'est enclenchée, le scénario a déroulé, je me suis mis à entendre la voix des personnages dans ma tête...bref, la partition était écrite : je n'avais plus qu'à l'interpréter sur les planches. Maintenant, je n'ai qu'une hâte : que le public le découvre et s'en empare... j'ai un trac monstrueux !