The Old Guard sur Netflix : interview des auteurs

À l’occasion de la sortie du film live THE OLD GUARD, le 10 juillet sur Netflix, le scénariste Greg Rucka et le dessinateur Leandro Fernández ont accepté de répondre à nos questions.

Une interview exclusive sur leur travail en bande dessinée et sur l’adaptation Netflix portée par Charlize Theron :  

 

  • Pouvez-vous brièvement présenter The Old Guard à celles et ceux qui ne l’ont pas encore lu ? Greg, comment vous est venu cette idée d’histoire ?

Greg Rucka : THE OLD GUARD met en scène un groupe de guerriers qui ont découvert leur immortalité, sans toutefois en comprendre les raisons. C’est un fait, ils ne peuvent pas vraiment mourir. Ils ne partagent qu’un seul autre point commun : avant de découvrir leur mystérieux "don", ils étaient tous des combattants, d’une manière ou d’une autre. Leur leader, Andy, est la plus âgée d’entre eux. 7000 ans, ce n’est pas rien quand on y réfléchit et c’est plutôt angoissant à imaginer. Angoissant, et très triste. Le plus jeune, qui a rejoint la petite bande avant le début de notre histoire, (THE OLD GUARD, Tome 1, À feu et à sang) s’appelle Sébastien. Il a combattu et perdu sa première vie sous les ordres de Napoléon, en Russie, pendant l’hiver 1812. 

S’ils sont en théorie immortels, leur vie peut tout de même prendre fin… Ils ne savent ni quand, ni comment, ni pourquoi, mais parfois, tout s’arrête.  

J’ai eu envie de développer cette idée pour des raisons diverses et variées. C’est en partie ma fascination pour un certain genre d’histoires de fantômes, une légende que l’on retrouve dans la majorité des armées autour du monde, et dans le folklore qui les entoure. Il existerait un "bataillon fantôme", des âmes de soldats qui apparaîtraient quand la situation sur le champ de bataille semble désespérée, pour aider les combattants à reprendre le dessus. La chanson "Camouflage" de Stan Ridgway y fait référence. 

D’autre part… Cette histoire est celle d’Andy. Elle était simplement déjà là, elle vivait déjà dans un coin de ma tête depuis mal de temps. Je ne la connaissais pas encore tout à fait mais j’ai immédiatement été sûr et certain de quelques-unes de ses caractéristiques : elle devrait être incroyablement âgée, elle ne pourrait pas mourir et, de là, découleraient des connaissances et une expérience de vie uniques que seule une existence aussi longue pouvait lui permettre d’acquérir. Elle parlerait presque toutes les langues de la planète, par exemple, et maîtriserait à la perfection toutes les armes et arts martiaux. Ce genre de choses. Je savais également d’emblée qu’elle éprouverait une tristesse infinie et constante, qu’elle serait très, très fatiguée et probablement très, très seule, aussi. Elle aurait connu tant de personnes, les aurait aimées et vues mourir au fil du temps. Elle serait condamnée à continuer à avancer. Cette vie n’aurait simplement pas de fin.

C’est ainsi que tout a commencé.

 

  • Ce n’est pas votre première collaboration. Comment vous êtes-vous rencontrés et qu’est-ce qui vous a de nouveau réunis pour créer The Old Guard ?

GR :  Leandro et moi avons des versions différentes du jour où nous nous sommes rencontrés. Pour lui, c’est la faute d’Ivan Brandon, ce qui semble tout à fait plausible. Dans mes souvenirs, c’est Jamie Rich ou bien James Lucas Jones qui nous ont présentés, suite à une discussion de l’un ou de l’autre avec Eduardo Risso. Quoiqu’il en soit, c’est bel et bien arrivé et cela a été pour moi une chance incroyable. Nous n’avons peut-être pas travaillé énormément ensemble avec THE OLD GUARD, mais chacune de nos collaborations a été très enrichissante ! Alors, naturellement, quand j’ai commencé cette série, Leo est le premier dessinateur qui m’est venu à l’esprit.  

Leandro Fernández : Nous nous sommes rencontrés en personne en 2001, à San Diego, où Greg m’a proposé de dessiner QUEEN & COUNTRY: CRYSTAL BALL. Ensuite, nous avons travaillé ensemble sur WOLVERINE: COYOTE CROSSING. J’aime beaucoup ces deux livres et j’adore collaborer avec Greg.

Je travaillais sur des projets en creator-owned depuis quelques années, et j’étais à la recherche de ce type de boulots, quand Greg m’a raconté son concept de guerriers immortels luttant tous ensemble pour faire le bien. J’ai tout de suite accroché. Tout ce qui a trait à l’histoire me passionne. 

 

  • Leandro, comment avez-vous conçu le design des personnages ?  

LF : J’ai commencé avec un plan bien précis en tête : Greg m’avait donné une description assez succincte de chacun des personnages. Il me laissait toute liberté pour choisir leur apparence et leurs vêtements. J’avais donc décidé de les rendre très différents les uns des autres, reconnaissables au premier coup d’œil. Comme ils sont immortels, les lecteurs pourraient les découvrir dans toutes sortes de situations, à des époques diverses et variées. Je voulais que leurs costumes et leurs coupes de cheveux évoluent et suivent la mode. On pourrait les mettre en scène couverts de boue dans des tranchées, ou complètement en sang, ou bien simplement marchant dans la rue, de nos jours.  

Mais en même temps, il me semblait important que chacun ait une personnalité bien marquée. Je voulais que les lecteurs "entendent" littéralement une voix différente en passant d’une bulle à l’autre.   

C’était en tout cas mon intention au départ : créer des personnages bien distincts et facilement identifiables, plutôt que de dessiner des beautés classiques. Je suis bien conscient que les protagonistes du comics ne sont pas les charmants héros que l’on a l’habitude de découvrir en BD, mais ils ont chacun une personnalité unique.  

 

  • Leur look reflète-t-il donc leur personnalité ?  

LF : J’espère ! D’un autre côté, je souhaitais qu'ils portent des vêtements de tous les jours, quand on les voit à notre époque. J’adore l’idée d’un héros aux compétences et pouvoirs extraordinaires qui a la tête de Monsieur-Tout-le-monde. C’est parfois le cas dans la réalité, d’ailleurs… La plupart du temps les gens les plus cool n’ont pas besoin de chercher à attirer l’attention. Ils y arrivent naturellement, par leurs actions, leurs mots, leurs convictions.

 

  • Les armes que vos protagonistes utilisent sont aussi un élément capital de votre histoire. Comment avez-vous travaillé sur leur design ? Doit-on y voir une symbolique particulière ?

GR : Sans entrer dans les détails sur l’épée à deux mains de Nicky ou l’espèce cimeterre de Joe, on peut affirmer que chacune de ces armes "archaïques" a été choisie pour faire écho à la culture de son ou de sa propriétaire. Bien que dans le cas d’Andy ce soit quelque peu différent. Dès le départ, je savais que compte tenu de son âge, Andy venait tout droit de la "préhistoire" (nous n’avons pas vraiment de références concernant l’époque à laquelle elle est née et honnêtement, j’avais déjà beaucoup avancé dans l’écriture quand j’ai enfin trouvé des sources documentaires réellement utiles. Et d’une certaine manière, ces recherches ont confirmé ce que je soupçonnais. J’avais travaillé auparavant sur les WONDER WOMAN REBIRTH, pour DC Comics, et j’avais pu rassembler énormément d’informations historiques sur les "Amazones". D’emblée, j’avais imaginé Andy comme une combattante pré-Amazone. Il me semblait évident qu’elle venait d’une société matriarcale de cavalières que les historiens situent dans certaines parties du continent asiatique, notamment dans la steppe. Le choix de cette arme à la forme si particulière, le labrys, s’est imposé à moi. Il s’agit de l’arme "traditionnelle" des Amazones. C’était une manière d’affirmer le lien entre Andy et ce peuple. De plus, c’est la hache préférée des cavaliers. À cheval, son double-tranchant est dévastateur. Donc, c’était forcément la première arme qu’Andy avait appris à maîtriser dans sa jeunesse.

LF : Je ne me risquerais pas à en dire trop à ce sujet. Vous savez, on laisse quelques indices ici ou là et les lectrices et lecteurs en font leurs propres interprétations. Greg m’avait suggéré de leur faire utiliser les armes de leurs époques d’origines dans les scènes de combat qui se déroulent de nos jours. J’étais évidemment d’accord, l’idée est formidable ! Mais quelques-unes de leurs lames devaient être adaptées à l’époque contemporaine. J’ai beaucoup travaillé sur le labrys d’Andy pour le rendre plus moderne, plus pratique et plus facile à utiliser. Je voulais me débarrasser des éléments superflus et de toute décoration pour la représenter de la manière la plus simple possible. Elle est forgée dans une pièce de fer unique. Rien d’autre. Aucun ornement. Son design est géométrique, basique. Juste des cercles et des lignes, placés sur une grille. C’était comme dessiner un logo.

 

  • Barcelone, Paris, Dubai, Afghanistan… Vos personnages voyagent énormément. Avez-vous visité tous ces endroits ?  

GR : J’ai visité quelques-uns de ces endroits. Pour ceux que je ne connaissais pas, j’ai fait beaucoup de recherches. Nous voulions montrer que ces personnes ont voyagé partout dans le monde et qu’elles ont vu de leurs propres yeux évoluer tous ces pays. Donc, nous voulions choisir des lieux ayant une histoire intéressante. Aux États-Unis, la notion d’"histoire" est très limitée. Mon pays a sciemment effacé les histoires et les cultures des peuples originaires qui vivaient là bien avant la colonisation du continent. Résultat : une grande partie des États-Unis peut se vanter d’avoir une histoire ridiculement courte de 200 à 400 ans. En revanche, l’Europe vit entourée de preuves de vie remontant à plusieurs siècles, parfois même des millénaires. J’ai confronté nos personnages aux changements hyper rapides du XXIème siècle. Andy, en particulier, devait absolument visiter les endroits qu’elle avait connu au fil du temps.

LF : Je voyage le plus possible, j’adore cela… Je suis curieux de tout et j’ai visité beaucoup d’endroits différents. J’adore essayer de trouver les éléments qui font qu’une ville ou qu’un pays est vraiment unique. Je fais en sorte d’éveiller tous mes sens à l’atmosphère de chaque lieu. L’été barcelonais a une odeur très différente de New-York au beau milieu de l’été. Au mois de juin à Bogota, l'air n'a pas les mêmes vibrations que celui de Marrakech en plein mois d’août. Un restaurant italien de Toscane ne sert pas les mêmes plats que l’un de ses homologues à San Diego… et un verre de pastis a un goût très différent suivant que je le le boive sur le port de Marseille ou dans mon propre jardin !

J’aime beaucoup dessiner les endroits que je visite mais je préfère de loin "enregistrer" les décors et atmosphères à travers mes yeux et mes autres sens. Ainsi, je peux vraiment comprendre à quoi chaque lieu ressemble vraiment, les sons, les odeurs, la manière dont les gens se déplacent ou s’habillent, ce qu’ils mangent, quels moyens de transport ils utilisent… De nos jours, il est facile d’en avoir une petite idée sans se déplacer, grâce à internet, mais pour saisir tous les détails, rien ne remplace un voyage sur place. Si l’on fait parler son expérience personnelle au moment de dessiner, on peut réellement faire voyager les lecteurs. Un écran ne remplacera jamais une expérience réelle. Au bout du compte, tout ce que je mets dans mes dessins est là pour une bonne raison. C’est le reflet de mon vécu.

 

  • Greg, une scène de la bande dessinée se passe dans un village appelé Les-Baux-de-Provence. Pourquoi avoir choisi ce lieu en particulier ?

GR : Je voulais trouver un lieu qui ait une histoire très ancienne ! Andy devait avoir un endroit bien à elle où entasser toutes les affaires accumulées au cours de l’Histoire. Un repaire qu’elle aurait connu tout beau et tout neuf. Les-Baux-de-Provence m’a semblé un village idéal !

 

  • Et vous deux, l’immortalité vous fait-elle rêver ?  

GR : Cela ne me dit trop rien. Je serais très heureux si je peux vivre longtemps mais je crois que notre mort donne un sens à notre existence. Si chaque journée ressemble à la précédente, et qu’il n’y a plus rien d’autre à faire que de tuer le temps, quel intérêt reste-t-il à vivre ? J’adorerais avoir un peu plus de temps que la normale mais je pense qu’au final, cela me pèserait énormément. Et je ne me crois pas capable de survivre un ou deux siècles en regardant mourir tous ceux que j’aime. Ou en voyant le monde s’éloigner de plus en plus de celui que j’ai connu.  

LF : Je suis convaincu que ce doit être très difficile à vivre. L’immortalité pour être le synonyme exact de la solitude.

 

  • Parlons du film : comment avez-vous été impliqué dans sa création et/ou production ?

GR : J’ai eu beaucoup de chance : Skydance m’a laissé écrire le scénario. J’ai donc été entièrement intégré à l’équipe tout au long du développement du film, même dans la phase de production. J’ai passé un mois sur les plateaux de tournage. J’ai été bien plus impliqué que ce à quoi j’étais en droit de m’attendre, honnêtement.  

LF : En ce qui me concerne, on a seulement fait appel à moi pour quelques designs réalisés pendant la phase de production. J’ai surtout réalisé les dessins de Joe, l’artiste de la bande d’immortels. Il y a surtout une scène où le personnage dessine. Les mains que vous verrez à l’écran sont en réalité les miennes. C’est mon petit caméo personnel !  

 

  • Y a-t-il des différences majeures entre le film et la série comics ?   

GR : Oui, bien sûr. Un comics et un film sont deux supports différents. Les envisager comme formant une vraie unité, c’est l’assurance de faire un très mauvais film. Il nous fallait donc adapter. Peut-être pas adapter les lieux géographiques mis en scène mais plutôt les actions, les motivations des personnages et leurs personnalités. Je ne veux pas en dire trop car il faut que les gens découvrent le film par eux-mêmes, sans a priori. Mais évidemment, il y a eu des modifications. Dans le cas contraire, le film aurait été faible !

LF : Je pense aussi que les deux sont à appréhender séparément. Bande dessinée ou film, le médium est différent. Donc, le contenu doit s’adapter. Mais pour moi, le plus important est que l’on retrouve dans le long-métrage l’essence du comics. Et c’est bien le cas ! J’ai toujours ressenti un immense respect pour l’œuvre source de la part de toute l’équipe qui a travaillé sur le film, en particulier Gina, la metteuse en scène. Mon œil de dessinateur peut voir de nombreuses références à mon travail tout au long du film. Rien ne pouvait me faire plus plaisir. J’insiste : je suis très fier de ce film, je suis très heureux qu’il ait été réalisé et d’avoir été associé à sa création. J’espère que les gens aimeront à la fois le comics et le film !

 

Un film de Gina Prince-Bythewood.
Avec Charlize Theron, Matthias Schoenaerts, Luca Marinelli, KiKi Layne, Marwan Kenzari & Chiwetel Ejiofor.

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