Interview de Loui pour RedFlower
Croisement moderne assumé du manga et des contes ancestraux des griots africains, RedFlower est un shonen d’action et d’aventures qui vous emportera dans la rencontre explosive de deux cultures opposées, l’une emplie d’animisme et de spiritualité, l’autre pour qui la fin justifie les moyens. Avec toujours ce même fil rouge : sont-ce les actes ou leurs conséquences qui font de nous des adultes ?
Découvrez la genèse de RedFlower dans cette interview exclusive de Loui !
Peux-tu nous présenter RedFlower ?
Après avoir réalisé une vingtaine de one shots, je voulais raconter une histoire plus longue, dans laquelle je pouvais développer des thèmes et des personnages plus complexes. Le petit succès de mon recueil d’histoires courtes RedFlower Stories m’a montré qu’un tel récit pouvait intéresser les lecteurs.
RedFlower, c’est une histoire universelle : celle d’un jeune homme qui cherche sa place dans un monde bouleversé par le changement, mais j’y apporte mon expérience en Afrique de l’Ouest pour en faire un récit hors du commun. Ainsi, on y trouvera du vaudou, des gorilles géants, des baobabs sacrés, des personnages divers et variés, mais aussi un univers original qui déborde de motifs nouveaux, de fleurs étranges aux pouvoirs terrifiants, de rites tribaux vieux comme le monde, et bien plus encore ! Bien que ce soit un format shonen d’aventures, j’y intègre des éléments de conte et de poésie pour en faire un récit mélodieux, rythmique, tel le chant des griots et le battement des tam-tams qui résonnent dans les profondeurs de la jungle..
Peux-tu nous parler de ton enfance en Afrique, de la manière dont cela t’a forgé et inspiré ?
Le fait de grandir en Afrique m’a donné l’amour des contes, des légendes, car c’est historiquement la façon principale de transmettre le savoir. J’ai grandi avec des valeurs et une culture complètement différentes, et c’est ce qui fait la force de mes récits : je partage des personnages avec des histoires nouvelles, des points de vue originaux. J’ai vécu des choses qui sont complètement étrangères à beaucoup de gens en France, mais complètement banales pour moi. Certaines sont loufoques, comme mes rencontres dans la jungle avec des sorciers vaudous, des animaux exotiques, le mode de vie “à la Kirikou”, aller chercher de l’eau un seau sur la tête, vivre au milieu des chèvres et des moutons ; d’autres sont moins drôles : la corruption terrible en Afrique, le racisme en tout genre, l’esclavage de certains de mes amis, la maladie et la pauvreté abjecte. Toutes ces expériences nourrissent mes récits et animent mes rencontres avec les gens. Ce que je souhaite à travers mes histoires, c’est surtout partager.
Comment as-tu commencé dans le milieu du manga ?
Je découvre le manga à travers One Piece à 18 ans, et la force incroyable de la narration japonaise. Je dévore en quelques mois seulement les grands classiques : Naruto, Death Note, Shaman King, etc. Je suis convaincu : je veux raconter des histoires similaires. Un seul problème : le marché du manga n’existe pas en Afrique, il me faut déménager en France. En 2015, je m’installe à Toulouse. Je découvre alors un univers incroyable à travers les conventions, les éditeurs, les animés, les lecteurs de manga... J’enchaîne à un rythme effréné les rencontres, les projets pour m’améliorer (plus de vingt one shots réalisés en trois ans), les stages de manga, les voyages au Japon... En 2018, je me lance dans l’autoédition avec Molly & Lukas. Suite au succès de ce petit one shot auprès des lecteurs, je cherche un projet plus ambitieux.
Comment t’est venue l’idée du scénario der RedFlower ? Peux-tu nous en raconter la genèse ?
RedFlower m’est venu comme me viennent toutes mes idées : une vision abstraite, un flash d’inspiration soudain. J’ai vu un gorille blanc géant surgir violemment à travers les arbres, un jeune homme qui protège sa petite sœur...
J’ai immédiatement creusé l’idée avant qu’elle ne m’échappe. D’où viennent ces gorilles? Pourquoi sont-ils géants? Qui sont ces humains capables de coexister dans le même monde que de telles créatures ? Plus je cherchais à répondre à ces questions, plus l’univers de RedFlower se dévoilait à moi. Le projet était né. Seulement, je ne me sentais pas prêt à l’attaquer immédiatement, j’ai alors voulu développer le concept à travers de petites histoires courtes, ce qui a donné les deux tomes de RedFlower Stories. Quatre ans plus tard, je suis de retour en compagnie de Kéli, Aïsha et du gorille avec qui a tout commencé.
Différentes thématiques sont abordées dans RedFlower, dont le fameux passage à l’âge adulte...
C’est le thème central de RedFlower, du début à la fin: Kéli devra prendre conscience de ses défauts et les surmonter afin d’accomplir sa destinée. Il sera confronté à de nombreux obstacles: son père, Anansi... et même son frère lui imposeront des choix, mais Kéli devra trouver ses propres réponses à ses problèmes. On s’interroge également sur la morale et les conséquences de nos actes... La légitime défense justifie-t-elle de prendre une vie ? Kéli veut chasser l’envahisseur, peu importe la méthode, mais la violence engendre la vengeance, qui amène la guerre, et très vite le jeune homme sera confronté aux conséquences lourdes de ses actes.
Quel message désires-tu transmettre à tes lecteurs ?
Je ne prétends pas avoir un message spécifique. Je m’interroge plutôt à travers mes œuvres et j’invite le lecteur à m’accompagner dans mon questionnement tout au long de mes histoires. J’espère ainsi transmettre aux générations à venir mon amour des légendes, des récits intemporels, des mythes et des valeurs qui y sont cachées.
Comment travailles-tu ? As-tu besoin de faire des recherches documentaires ?
J’ai testé de nombreuses méthodes de travail au fil du temps (digital, traditionnel, un mix des deux), mais aujourd’hui je travaille entièrement sur mon iPad, avec Clip Studio Paint. J’écris beaucoup, des fragments d’idées qui seront peut-être un jour exploitées, des images, des références, je fais
beaucoup de recherches documentaires. Pour RedFlower, je suis retourné dans mon pays natal pour faire des randonnées dans la jungle, revoir les paysages ruraux de mon enfance, photographier l’artisanat local (les masques en bois, les tam-tams et les motifs), mais aussi pour parler à mon père et à mes aînés, des puits intarissables de sagesse et d’histoires pour m’en inspirer.
Quelles sont tes maîtres, tes sources d’inspiration scénaristiques et graphiques ?
J’ai beaucoup trop d’inspirations pour vraiment toutes les citer, mais je me nourris principalement de grands récits épiques, de mythes du monde entier, de L’Odyssée d’Homère aux récits sur l’histoire de Bouddha, en passant par les contes d’Anansi l’araignée et les Fables de La Fontaine. Les travaux de John Truby et Joseph Campbell ont été fondamentaux dans la réalisation de mes propres œuvres. Graphiquement, je pense notamment à Vinland Saga, mais aussi Bride Stories, Drifting Dragons, L’Habitant de l’Infini, Dr. Stone et Hinomaru Sumo. Narrativement, j’ai une grande admiration pour des œuvres comme Le Samouraï bambou, Vagabond et Berserk, mais aussi les incontournables Naruto, One Piece et Shaman King. Avatar de James Cameron a été une grande source d’inspiration quand le premier film est sorti, puis de détresse à la sortie du deuxième lorsque j’y ai vu pas mal d’idées que je voulais exploiter moi-même. (rires)
Je lis, regarde, écoute tout ce qui me passe sous la main : poésie, podcasts, films et séries, comics et BD, articles et essais scientifiques...
As-tu une anecdote marquante ou amusante concernant la création de RedFlower ?
Je me rappelle d’une conversation avec une amie lors de Japan Expo 2018. Je venais d’avoir l’idée de RedFlower et lui racontais avec excitation ce nouvel univers que je voulais explorer : un peuple animiste au fond d’une jungle qui vit en harmonie avec la nature jusqu’à l’arrivée d’un envahisseur étranger technologiquement supérieur désirant s’emparer de ses terres sacrées pour son propre gain. Après un silence, elle me répond : « Ouais, Pocahontas, quoi ». J’ai tellement rigolé de ma bêtise que c’est devenu ma phrase d’accroche pour vendre le projet : « Pocahontas, mais avec des gorilles ! ».
RedFlower - tome 1, disponible en librairie